De 2009 à 2014, Madagascar a traversé une grave crise politique et diplomatique qui a mis le régime de transition sous sanction internationale. Durant ces cinq années, l’aide humanitaire internationale a été une des principales sources de financement du pays et la seule source de financement public extérieur. Dans ce contexte quels ont été le rôle et l’action du Bureau national de gestion des risques et catastrophes (BNGRC), structure publique qui contrôle et coordonne l’aide humanitaire ? Pour répondre à cette question Christiane Rafidinarivo, qui a mené la recherche « Acteurs et dynamiques du tissu humanitaire à Madagascar : le Bureau national de gestion des risques et catastrophes et ses réseaux ».

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Bureau nationale de gestion des risques et catastrophes (BNGRC) est incontournable pour appréhender le tissu humanitaire malgache ?

Cette structure publique est chargée de coordonner et contrôler toutes les interventions touchant à l’humanitaire à Madagascar. Elle dispose d’un maillage complet au niveau du territoire et travaille en réseau avec de nombreuses ONG locales et internationales. Un fonctionnement salué, en son temps, par les agences internationales mais qui peine à produire des résultats dans le contexte actuel. Madagascar est dans une situation de crise quasi permanente, du fait de la pauvreté de sa population mais également des aléas climatiques. Et la crise politique qui a secoué le pays de 2009 à 2014 n’a rien arrangé. En 2008, le budget de l’Etat était fortement soutenu par les aides extérieures. La plupart des pays et institutions internationales ne reconnaissant pas le nouveau gouvernement, l’aide publique au développement a été divisée par deux au moment du coup d’état. L’aide humanitaire internationale, maintenue, est ainsi devenue, aux côtés d’autres sources privées, notamment minières et bancaires, l’une des principales sources extérieures de financement du pays. En tant qu’organe responsable de la coordination de cette manne, le BNGRC a très probablement vu son importance et son pouvoir s’accroître durant cette période.

 

L’influence grandissante du BNGRC a-t-elle bénéficié à la population ?

 

Cette question constitue l’un des enjeux de l’étude. Ce pouvoir accru a-t-il été utilisé pour renforcer le cadre institutionnel, rendre l’organisation des secours plus rationnelle, plus efficiente ? A-t-il été instrumentalisé à des fins politiciennes ? Pour consolider quels pouvoirs ? Questions d’autant plus sensibles que l’armée a toujours été en première ligne dans la protection des populations face aux catastrophes, et par conséquent, au BNGRC. D’après les premiers retours de nos enquêtes sur le terrain, les bénéficiaires jugent que l’action de l’Etat a été limitée, voire insuffisante. Il nous faudra confronter cette perception à des sources factuelles. Mais, les populations expriment surtout une attente forte à l’égard de l’Etat pour résoudre les crises. Il nous faut sortir des analyses stéréotypées qui soulignent la méfiance des Malgaches à l’égard d’un Etat nécessairement corrompu, autoritaire, héritier de la monarchie ou de l’ordre colonial. La demande de souveraineté et d’action publique dépasse les clivages traditionnels. L’action du BNGRC, menée selon le modèle d’Etat réseau, pourrait être un élément de la cohésion nationale dans la mondialisation. En réalité, les gens expriment, à leur manière, un désir de transition humanitaire.

Pensez-vous donc que l’action humanitaire internationale est perçue comme une menace pour la souveraineté du pays ?

Le BNGRC est un instrument des politiques publiques depuis long- temps. Sa raison d’être a une dimension de souveraineté dans le se- cours à la population, la solidarité nationale et la protection sociale contre le risque. Evidemment, le paternalisme, la condescendance, de certains modes d’intervention humanitaires réveillent des blessures is- sues du passé colonial mais aussi la prise de mesures rationnelles de gouvernance contre l’emprise étrangère. Même si la plupart des ONG travaillent étroitement avec le BNGRC, certaines organisations inter- nationales, par le pouvoir que leur confère leur richesse, se sentent au-dessus des lois et développent des stratégies d’évitement. Il faut rappeler que l’action humanitaire est, de toute façon, un enjeu de pou- voir dans les relations internationales. Pendant les cinq années de la crise politique, on a assisté à une véritable compétition entre donateurs. Des pays comme le Qatar, l’Iran, la Turquie ont pris position dans le pays par l’action sociale à côté d’autres qui ont intensifié la leur comme la Chine ou les États-Unis devenant, sur ce plan, premier partenaire. Les lignes ont bougé. L’enjeu de cette étude est donc de cerner l’évolution internationale du tissu humanitaire à Madagascar, dans toute sa variété, et d’identifier de nouvelles problématiques pertinentes.