Les rivières Oustouane et Ghzailé, qui s’étendent sur les régions d’Akkar et de la Bekaa, au Liban inondent régulièrement les vallées où s’accumulent les campements de réfugiés syriens chassés par la guerre. Dima El Khouri, docteure en géographie, s’est déjà intéressée au sort des réfugiés syriens au Liban pour sa thèse et mêle dans cette étude les questions de perception des risques et de cohésion sociale.

Votre étude aborde conjointement les questions de la perception des risques et de la cohésion sociale au Liban. Y a-t-il une spécificité libanaise sur ces deux points?

La société libanaise est organisée selon un système confessionnel figé, depuis les plus hautes instances de l’État jusque dans la moindre des localités. Le pouvoir se partage entre 18 groupes religieux qui cohabitent. Ce pays divisé en communautés est, depuis plus d’une dizaine d’années, confronté à une double crise économique et migratoire. Dans le sillage de la guerre en Syrie, ce sont plus d’un million de Syriens qui ont été accueillis dans le pays. Soit environ 20 % de la population. Même s’il y avait déjà eu les réfugiés palestiniens, cela constitue un défi majeur, à peine concevable pour n’importe quelle nation, mais qui a pu advenir dans les villes du Liban. Face à ce phénomène brutal, il faut examiner les facteurs qui ont permis à ces réfugiés de s’installer tant bien que mal dans des espaces marqués par des processus extrêmes d’injustices socio-spatiales. Aussi, pour envisager une stratégie commune de communication et de sensibilisation, il est nécessaire de tenir compte de ce contexte, et notamment des mécanismes qui produisent et reproduisent des inégalités qui opèrent sur l’ensemble des populations, que ces dernières soient d’origines syriennes, palestiniennes, qu’elles appartiennent aux différentes communautés religieuses libanaises ou qu’elles soient originaires de pays étrangers.

À quelle problématique particulière la zone des deux rivières est-elle confrontée?

L’étude porte sur deux bassins baignés par les rivières Oustouane et Ghzailé, qui s’étendent sur les régions d’Akkar et de la Bekaa. Ces zones rurales, frontalières, accueillent les réfugiés syriens les plus vulnérables, bien plus démunis que ceux qu’on rencontre en ville. Un tiers des réfugiés syriens inscrits au Liban se trouvent dans ces régions, où leur nombre est, dans certaines zones, deux fois supérieur à celui des Libanais. La grande majorité d’entre eux sont installés dans des campements de différentes tailles, composés de quelques dizaines de tentes à plusieurs centaines, parfois directement aux abords des rivières. Ces zones sont régulièrement touchées par des inondations. L’enjeu de l’étude est d’identifier les leviers qui permettront d’accroitre la résilience des populations face à ce risque.

Votre recherche n’en est qu’à ses débuts et il vous reste beaucoup d’entretiens à mener. Quelles sont vos premières observations?

Sans surprise, il est difficile de parler d’un risque potentiel, comme celui d’une inondation, quand la préoccupation la plus pressante des personnes exposées est de s’assurer que leurs enfants auront de quoi manger le lendemain. Pour autant, perdre une poule, une chèvre ou des réserves alimentaires dans une inondation, c’est ajouter encore au désastre. D’ailleurs, il s’avère que les populations craignent moins la submersion que la pollution qui l’accompagne. Dans le récit des gens, lorsque les rivières débordent, c’est surtout l’odeur et la peur de l’empoisonnement des terres agricoles qui suscitent la plus grande crainte.

Face aux inondations, on constate également que le défaut de cohésion sociale est un facteur aggravant. Traditionnellement, les populations situées en amont des rivières peuvent alerter du danger. En l’absence de liens entre les Libanais et les Syriens installés dans les campements, cette information ne circule pas.

Quelles applications concrètes sont attendues à l’issue de votre recherche?

La recherche s’intègre à un dispositif plus large destiné à apporter des solutions techniques aux problèmes d’inondations. Ainsi, les sciences sociales sont mobilisées dans le cadre d’une Landscape Approach pour prendre en compte tous les aspects du problème et comprendre le contexte dans lequel les solutions techniques peuvent être mises en œuvre. La vraie solution serait bien sûr d’ordre géopolitique, économique, structurel… Et l’on a parfois le sentiment de mettre un pansement sur une jambe de bois. Mais notre travail consiste à venir en aide aux acteurs de terrain et faciliter la mise en œuvre d’une réponse ciblée. Très concrètement, l’une des priorités consiste à établir une cartographie détaillée des acteurs et de leur rôle dans la mise en œuvre de liens entre les réfugiés et la société. Même dans les campements qui ne regroupent que quelques tentes, il y a un système hiérarchique qui règle la circulation de l’information. Dans les rassemblements plus importants, on peut généralement compter sur l’appui d’un Shaweesh qui dispose de ressources sociales plus larges et de liens avec les propriétaires libanais. De même, il est important de tenir compte des pratiques informelles, du clientélisme, de la corruption qui sont incontournables dans les relations sociales. Avant même de penser aux messages qui permettront d’améliorer les comportements préventifs, la première chose à faire est de bien connaître les canaux de diffusion de ces messages.

Crédit photo du haut : @Virginie Troit