Les DRAD, Dispositifs renforcés de soutien à domicile, permettent d’améliorer la coordination entre les professionnels et de pousser à la coopération entre les EHPAD et acteurs du soin à domicile. Ce dispositif semble porter ses fruits dans la lutte contre l’isolement des personnes âgées. C’est ce que nous explique Louis Braverman, docteur en sociologie et chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS).

Votre étude porte sur les Dispositifs renforcés de soutien à domicile (DRAD), pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit?

Les DRAD sont des dispositifs innovants et expérimentaux visant à améliorer l’accompagnement des personnes âgées à domicile. L’objectif est d’assurer la continuité des soins, d’éviter les ruptures brutales dans les parcours de vie et de mettre en œuvre une coordination entre les professionnels. Les DRAD peuvent donner lieu à des initiatives assez variées, mais ce sont souvent les EHPAD qui prennent une position centrale dans le dispositif et assurent la coordination avec les médecins, les kinésithérapeutes, les gardes de nuit, les services de soins infirmiers, les auxiliaires de vie…

À l’origine, ces dispositifs sont pensés pour favoriser le maintien à domicile dans la perspective d’apporter une réponse aux défis du grand âge et de la perte d’autonomie. Le but de mon étude est plutôt d’analyser dans quelle mesure ces dispositifs peuvent lutter contre l’isolement et la solitude des personnes âgées.

Quelles observations avez-vous pu faire au cours de votre étude? Et surtout, est-ce que ces dispositifs permettent de lutter efficacement contre l’isolement?

Les DRAD permettent de rompre avec la dichotomie domicile/EHPAD. Traditionnellement, l’accompagnement à domicile rencontre ses limites lorsque la perte d’autonomie est trop importante ou que la famille n’est pas en mesure d’assurer la continuité des soins. Trop souvent, la prise en charge bascule brutalement du domicile à l’EHPAD à la suite d’un incident ou d’une hospitalisation. La personne âgée quitte son univers, où elle pouvait recevoir les visites de voisins, d’amis, de la famille et de professionnels.

Les DRAD permettent, avant tout, de lutter contre la solitude et l’isolement, dans la mesure où elles permettent effectivement de soutenir l’ancrage des personnes dans leur environnement. Comment ? En renforçant les prestations d’aide, si nécessaire, en misant sur la prévention et en donnant la possibilité de faire des allers et retours facilement entre le domicile et les établissements d’accueil. Les visites supplémentaires des professionnels, en elles-mêmes, revêtent une dimension relationnelle forte, et sont souvent vécues par les personnes âgées comme des moments de vie sociale. Enfin, dans certains cas, les DRAD ouvrent des possibilités supplémentaires de sortir de chez soi, grâce aux services d’aide à la mobilité, pour prendre part à des activités avec des bénévoles ou dans le cadre de l’accueil de jour en EHPAD.

Concrètement, quels sont les principaux avantages qu’offrent les DRAD dans le maintien à domicile et la lutte contre l’isolement?

Le point le plus important se situe, sans doute, dans la coordination entre les professionnels. Ce temps de coordination est généralement mis en œuvre par une infirmière coordinatrice de l’EHPAD. Il permet d’organiser une présence régulière d’intervenants, et d’assurer une prise en compte globale de la personne, mêlant accompagnement à la vie courante, soins médicaux plus techniques, promotion de la santé et actions de prévention. Cela débouche souvent sur des prestations complémentaires — télé-assistance, aménagements du logement, garde de nuit, aide à la prise de médicaments.

Les familles apprécient énormément la présence de cet interlocuteur unique. D’autant que les passerelles entre domicile et EHPAD peuvent être particulièrement bénéfiques, notamment pour prévenir l’épuisement des proches aidants. J’ai recueilli l’exemple d’une personne âgée qui a pu bénéficier d’un hébergement provisoire en EHPAD afin que sa fille puisse rejoindre sa famille en vacances quelques jours. Les aidants restent des relais qu’il est indispensable de prendre en compte dans le dispositif pour réussir le maintien à domicile.

Avez-vous identifié certaines limites à ces dispositifs innovants ou des difficultés dans leur mise en œuvre?

La coopération entre les EHPAD et les acteurs du soin à domicile peut parfois susciter certaines frictions. D’abord, il y a une collaboration à construire entre des professionnels qui ne travaillent pas de la même façon. Les systèmes informatiques ne sont pas forcément compatibles. Mais surtout, entre le domicile et l’établissement d’accueil, on assiste parfois à un choc de cultures. Normes d’hygiène, respect des habitudes, nature de la relation, prévention, rythmes… Les priorités ne sont pas toujours alignées. Mais, cet échange sur les pratiques constitue un des intérêts de cette coopération. Pour les EHPAD, qui sont souvent le moteur de la collaboration, c’est aussi l’occasion de s’ouvrir sur l’extérieur et de redorer une image fortement dégradée, voire rebutante. Les principales menaces qui pèsent sur les DRAD se situent toutefois à un niveau plus structurel. Pour stabiliser les modèles et récolter tous les fruits de leur coopération, les professionnels doivent avoir une certaine visibilité sur la pérennité du dispositif et des financements. Par ailleurs, tout le secteur est touché par des problèmes de formation, de recrutement et de fidélisation des salariés. Si les DRAD contribuent indirectement mais efficacement à la lutte contre l’isolement, ils ne permettront pas, à moyens constants, de maintenir un modèle en tension dans un contexte de vieillissement de la population.

Crédit photo du haut : Christophe Hargoues pour la Croix-Rouge française