Edouard Kouadio Kouassi, sociologue, lauréat d’une bourse de la Fondation, a été sélectionné pour afficher son poster scientifique à la conférence internationale organisée par le Water Institute de l’Université de Caroline du Nord (UNC) à Chapel Hill aux Etats-Unis en octobre dernier. Un événement annuel de référence dont les portes se sont ouvertes grâce à Jean-Marc Leblanc chargé de mission Eau, Assainissement et Hygiène (EAH) à la DROI (Direction des relations et opérations internationales de la Croix-Rouge française). Ce travail en binôme illustre parfaitement les opportunités offertes par la collaboration entre universitaires et acteurs de terrain. Jean-Marc Leblanc répond à nos questions.

Pouvez-vous nous expliquer la relation particulière que vous entretenez avec cette recherche et votre collègue chercheur ?

Jean-Marc Leblanc – C’est un projet que j’ai eu la chance d’accompagner depuis sa genèse : nous avions suggéré le thème de recherche à la Fondation ; Edouard Kouadio Kouassi a été sélectionné pour mener son étude sur ce thème ; j’étais son « parrain » durant ses travaux et j’ai pu le représenter à la Conférence organisée par le Water Institute de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill (UNC), des difficultés administratives l’ayant empêché de répondre à l’invitation de nos collègues américains.

Son étude concerne le lien qui existe entre malnutrition, eau et bétail. En effet, certaines interventions EAH, pour améliorer la santé des populations, prétendent éradiquer la défécation à l’air libre, source de transmission de maladies hydriques. Par contre, en zone d’élevage, ces interventions n’intègrent pas la gestion des déjections animales, alors même que celles-ci sont également porteuses de certains pathogènes aussi responsables de maladies. C’est d’autant plus problématique quand on sait que certains germes propagés par des déjections animales et directement responsables de problèmes de malnutrition sont insensibles au chlore, qui est pourtant classiquement l’un de nos meilleurs alliés pour améliorer la santé des populations.

Le sujet commence juste à être documenté. Avec son regard de sociologue, la recherche d’Edouard apporte de nouveaux éléments, et a notamment permis de mettre en exergue des blocages au changement de comportement qui freinent l’atteinte pleine des objectifs de projets EAH. La connaissance précise de ces blocages doit nous permettre de les transformer en leviers du changement des pratiques, et d’imaginer des solutions adaptées au contexte local et aux raisons, pas toujours rationnelles pour les profanes, des éleveurs et des populations. C’est une vraie satisfaction d’avoir pu enrichir nos connaissances techniques d’une approche sociologique.

Le poster d’Eoudard Kouadio Kouassi sur un panneau de l’UNC à Chapel Hill (Etats-Unis)

Comment ont été perçus les travaux d’Edouard Kouadio Kouassi présentés lors de cette Conférence ?

JML – Cette invitation marquait l’intérêt que les chercheurs anglo-saxons portent à la recherche francophone, menée, qui plus est, par un universitaire du Sud, dont les travaux sont souvent les moins financés. Edouard analyse, en effet, des terrains qu’ils connaissent mal avec un regard différent. Le poster scientifique d’Edouard a d’ailleurs suscité beaucoup d’intérêt et certains questionnements. Le lien établi entre déjections animales et malnutrition a, notamment, essuyé quelques critiques. Pour beaucoup, la malnutrition est « multifactorielle », un argument qui permet de mettre en doute toute recherche scientifique visant à identifier des causes particulières. Par ailleurs le fait qu’Edouard pointe du doigt les défaillances de l’approche ATPC (Assainissement Total Piloté par la Communauté) n’a pas forcément plu à ses défenseurs. En bref, ses travaux n’ont pas laissé indifférent et ont donné lieu à des échanges passionnants.

Vous semblez donc particulièrement satisfait de la collaboration entre la DROI et la Fondation. Avez-vous d’autres projets en vue ?

JML – Notre participation conjointe à la conférence et toutes les opportunités qu’elle suscite sont déjà, en soi, une satisfaction. Dans le cadre de nos actions de terrain, nous sommes également convaincus de l’intérêt d’enrichir nos connaissances et renforcer notre capacité d’action grâce à la recherche. L’angle d’approche des sciences sociales nous permet de mieux prendre en compte les enjeux sociaux, sociétaux, ou culturels de nos interventions. La recherche appliquée offre un temps de réflexion qui nous manque souvent dans le feu de l’action, et donne des bases solides et scientifiques à ce que nous percevions ou pressentions.

Une certaine incompréhension apparaît parfois entre chercheurs et humanitaires, les seconds se sentant injustement jugés par les premiers. Dans le travail avec Edouard Kouadio Kouassi et la Fondation, s’est au contraire engagé un cercle vertueux, où la complémentarité et la coopération l’ont emporté. Nous espérons vivement prolonger cette dynamique sur de nouveaux projets.