Pour une mobilisation des réseaux de solidarité de proximité : étude des régimes d’engagement des bénévoles de l’action sociale de la Croix-Rouge française
Thématique de recherche
Les activités sous contrainte comme les maraudes du SAMU social subissent un renouvellement très fréquent des effectifs de bénévoles. Un simple changement de planning professionnel, une légère modification de l’organisation familiale peuvent suffire à engendrer l’arrêt d’un tel investissement personnel.
Aussi, il arrive souvent que sur une activité comme la maraude la défection ou l’arrêt de l’activité ne soit pas annoncée de façon explicite par le bénévole. Il suffit de ne pas s’inscrire sur un nouveau créneau d’activité, et ceci pendant une certaine durée, pour perdre le contact avec son équipe et l’association. Les responsables d’activité et autres bénévoles engageant beaucoup de temps et d’énergie à recruter de nouveaux bénévoles pour palier à ce turnover n’ont bien souvent pas le temps de prendre connaissance de ces changements de vie conduisant à l’arrêt d’un engagement au sein de leur équipe. Si bien qu’ils ne peuvent efficacement accompagner le bénévole dans ce changement et agir sur cette défection pour, au mieux, en limiter les effets en proposant par exemple d’autres modalités d’engagement correspondant à ses nouvelles disponibilités ou, au moins, maintenir la relation entre le bénévole et son équipe en dépit de l’arrêt de son engagement.
Ainsi, les bénévoles peuvent tirer de l’amertume de ne pas voir l’arrêt de leur engagement regretté ou être un sujet de préoccupation au sein de leur équipe, tandis que les responsables d’activité perdent des bénévoles expérimentés que le recrutement, même conséquent, de profils juniors ne peut compenser à court terme, surtout pour des activités sous contrainte comme les maraudes du SAMU social.
Investir davantage dans le maintien d’un lien avec les bénévoles, en dépit du caractère irrégulier voire de l’arrêt de leur engagement est donc un enjeu important pour la Croix-Rouge française (CRf) et les acteurs associatifs en général, car cela permettrait d’endiguer la perte d’une expérience précieuse. En amont, l’enjeu est de trouver les modalités d’un accompagnement empêchant que les petits changements de vie ne conduisent à un renoncement définitif des bénévoles, et permettant une autre forme d’engagement adaptée au sein de l’association. En aval, l’enjeu est de parvenir à ce que les bénévoles reviennent en conservant un lien malgré la rupture de l’engagement le temps que l’origine de l’arrêt cesse.
L’étude des motivations de l’engagement associatif et « carrières bénévole » est un champ abondamment exploré depuis de nombreuses années par la recherche en sciences humaines et sociales[1], et qui répond à l’enjeu crucial du recrutement pour ces acteurs. L’objectif ici est de l’aborder dans le cadre des activités sous contrainte, du fait de leur fort turnover, et sous l’angle de ceux qui ont arrêté de les exercer. L’objet de la recherche est d’étudier l’arrêt d’une activité, de comprendre ses multiples raisons auprès des bénévoles concernés et d’explorer les leviers de fidélisation possibles en dépit de cet arrêt.
Il est attendu des résultats de la recherche qu’ils proposent des clés de compréhension des ressorts de l’engagement et désengagement des bénévoles de l’action sociale de la Croix-Rouge, ainsi que des outils à l’usage des responsables d’activité pour envisager le lien entre bénévole et la CRf sur long terme, et ainsi moins subir au quotidien les défections et donc le turnover. La recherche visera notamment à répondre aux questions suivantes :
- Qui sont les bénévoles de l’action sociale de la Croix-Rouge française aujourd’hui ?
- Quelles sont les raisons de l’arrêt des activités bénévoles sous contrainte ? Sont-elles majoritairement liées à l’activité elle-même ou au contraire relatives à des raisons d’organisation personnelle ?
- Comment les responsables d’activité gèrent-ils ce turnover ? Connaissent-ils les raisons de l’arrêt des activités bénévoles sous contrainte et comment agissent-ils pour éviter que le lien avec le bénévole ne se délite ? Des initiatives locales efficaces sont-elles observables et quelles seraient leurs modalités d’essaimage ?
- Comment aider les bénévoles à demeurer engagés au sein de la Croix-Rouge française ? Comment capitaliser sur des bénévoles expérimentés et très bien formés et pérenniser leurs engagements en accompagnant mieux leur rupture ? Quels sont les leviers de fidélisation possibles en dépit de cet arrêt ?
Parmi les multiples angles d’approches possibles, la Fondation encourage à explorer notamment celui de la localisation des antennes de la Croix-Rouge française en France métropolitaine. Les antennes présentes dans les métropoles voient leurs bénévoles venir de plus en plus loin, en raison d’une situation foncière fortement contrainte les poussant à habiter dans des zones moins chères et excentrées. Ces trajets, qui rendent déjà difficiles l’engagement des bénévoles, peuvent conduire à leur défection quand interviennent dans leur vie des changements professionnels ou familiaux, même minimes. Or des fragilités, des besoins, des souffrances à proximité immédiate de leurs domiciles existent potentiellement, mais ne peuvent être allégés par un engagement de ces bénévoles en raison de l’absence d’antenne CRf à proximité. Il serait donc intéressant d’étudier les corrélations entre implantations CRf effectives, besoins sociaux sur le territoire et lieux d’habitation des bénévoles dans une aire urbaine précise.
Enfin, ces enjeux doivent nécessairement être appréhendés à l’aune de l’évolution du bénévolat et des métiers de l’action sociale en France, qui soulève en particulier la question de la professionnalisation. Les bénévoles d’associations humanitaires viennent régulièrement et de plus en plus appuyer les travailleurs sociaux dans leur mission d’aide envers les individus dans le besoin, par exemple à travers de nouveaux dispositifs tels que les « maraudes mixtes »[2]. L’analyse des rapports entre bénévoles et travailleurs sociaux, entre différences et similitudes, tend à montrer que, devant l’enjeu d’un « agir collectif » auprès des bénéficiaires, l’action conduite par les bénévoles est complémentaire de l’approche des travailleurs sociaux[3]. Cela dit, on manque encore de travaux sur la nature de leurs interactions sur le terrain, la façon dont les différences de statut et de connaissance notamment génèrent des postures risquant de contrevenir à cette complémentarité et finalement à la qualité de l’action et de l’engagement bénévole. Ce sont autant de points sur lesquels il convient de se pencher si l’on veut comprendre ces interactions entre les bénévoles et les professionnels de l’action sociale et les conditions d’une bonne synergie pour une meilleure efficacité de leurs actions.
[1] Citons notamment :
Léa Marcou, S’occuper des autres. Comment et pourquoi être bénévole aujourd’hui, 1976, Fayard.
Dan Ferrand-Bechmann, Bénévolat et solidarité, Syros Alternatives, Paris, 1992.
Serge Paugam, « La dynamique de l’engagement humanitaire » dans Produire les solidarités. La part des associations, Paris, MIRE, Rencontres et recherches, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Fondation de France, 1997.
Jacques Ion, La fin des militants ? Paris, Editions de l’Atelier, 1997.
Lionel Prouteau, « Les différentes façons d’être bénévole », Economie et statistiques, n° 311, 1998.
Johanna Siméant, La cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.
Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », dans « Devenirs militants », Revue française de science politique, 51, 1-2, 2001, pp. 199-215.
Annie Collovald, L’humanitaire ou le management des dévouements, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection : Res Publica, 2002, 234 p.
Lionel Prouteau, François-Charles Wolff, « Donner son temps : les bénévoles dans la vie associative », Economie et statistiques, n° 372, 2004.
Stéphanie Vermeersch, « Entre individualisation et participation : l’engagement associatif bénévole », Revue française de sociologie, vol. vol. 45, no. 4, 2004, pp. 681-710.
Bénédicte Havard Duclos et Sandrine Nicourd, Pourquoi s’engager ? Bénévoles et militants dans les associations de solidarité, Payot, 2005.
Bénédicte Havard Duclos et Sandrine Nicourd, « Associations de solidarité : les motifs de l’engagement », Sciences humaines, HS n°50, sept-oct. 2005, p. 72-74.
Laurent Thévenot, L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
Howard S. Becker, « Sur le concept d’engagement », SociologieS [En ligne], Découvertes / Redécouvertes, Howard Becker, mis en ligne le 22 octobre 2006.
Bénédicte Havard Duclos et Sandrine Nicourd, « Les ressorts des engagements des responsables associatifs », in La France bénévole 2007, publication du CERPHI.
Sandrine Nicourd, « Qui s’engage aujourd’hui ? Regards sociologiques sur la participation », Informations sociales, vol. 145, no. 1, 2008, pp. 102-111.
[2] Les maraudes mixtes Etat-Département sont destinées à venir en aide aux enfants et familles en situation de forte précarité. Il s’agit de faire intervenir ensemble les associations, les services de l’État et ceux des départements pour repérer puis accompagner les familles sans domicile fixe. Elles sont déployées dans le cadre de la Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté via les conventions signées entre l’Etat et les Conseils départementaux ou Métropoles. Pour ce plan qui prévoit que 50 dispositifs de maraudes mixtes seront déployés dans 16 départements, l’État investit 10 millions d’euros d’ici 2022.
[3] Laheyne, Cédric. « Bénévoles et professionnels. Anatomie d’une complémentarité », Le sociographe, vol. 40, no. 4, 2012, pp. 68-79.
Zone géographique de recherche
La recherche pourra avoir lieu en France métropolitaine.
Les pays ciblés constituent une entrée empirique pour les recherches. Ils ne correspondent en aucun cas aux nationalités d’éligibilité du candidat.
Bourse de recherche (individuelle)
Nombre : 1
Montant : 17 000 €
Le lauréat bénéficiera en outre de :
• suivi scientifique et tutorat personnalisés
• accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publication sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
• abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires
• adhésion d’un an à l’IHSA
Dates clés :
• 27 mars 2020 : lancement de l’appel
• 24 mai : clôture des candidatures
• 2 juillet : annonce des résultats
• 1er sept.2020 : début des recherches
• 1er sept.2021 : rendu des livrables
Mots-clés :
• Bénévolat
• Action sociale
• Maraude
• Exclusion
• France