Acteurs humanitaires et sociaux au cœur de la crise des exilés ukrainiens en France
Thématique de recherche
La crise engendrée par l’agression russe de l’Ukraine de février 2022 « s’annonce comme l’une des plus grandes urgences humanitaires depuis la Seconde Guerre mondiale » selon la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR)[1], qui estime que près de 18 millions de personnes ont ou vont avoir besoin d’une assistance humanitaire en raison de ce conflit.
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge participe à la réponse mondiale par l’engagement inédit de 93 000 volontaires, et 39 Croix-Rouge qui se coordonnent au quotidien pour répondre à cette crise dans au moins 14 pays simultanément, tandis que 800 membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sont sur le terrain. Du jamais vu dans l’histoire du Mouvement.
Depuis les premières heures de la crise, la Croix-Rouge française (CRf) soutient les opérations du Mouvement international, en contribuant au financement, à la fourniture d’aide matérielle et de biens de première nécessité des actions d’urgence. En quelques semaines, la Croix-Rouge française a délivré plus de 600 tonnes de matériel humanitaire, soit un tiers de l’aide fournie par le Mouvement. Dans un deuxième temps, fin mai 2022, la CRf a fabriqué et commencé à envoyer plus de 900 000 kits (kits alimentation, kits hygiène et kits bébé)[2] aux familles affectées par ce conflit armé.
En France, la Croix-Rouge française est engagée dans l’accueil des personnes ayant fui l’Ukraine : 75 délégations territoriales mobilisées, 13 500 bénévoles engagés, soit 77 000 heures de bénévolat, 3 000 personnes accueillies dans 40 établissements, 130 000 personnes prises en charge par les volontaires, 50 000 personnes soutenues grâce aux chèques d’accompagnement personnalisé (CAP).[3]
Dès le 8 mars, les volontaires de la Croix-Rouge française étaient dans les gares pour accueillir les personnes fuyant l’Ukraine. L’association a ensuite déployé des dispositifs d’accueil, d’orientation et d’hébergement sur une grande partie du territoire, tout en mettant en place des distributions alimentaires et vestimentaires, dispensé des soins[4], participé à des opérations de rapatriement[5], activé son programme de rétablissement des liens familiaux[6], créé une plateforme téléphonique (Croix-Rouge bonjour) dédiée à l’urgence[7]. Aussi, pour les aider à subvenir à leurs besoins essentiels, une aide financière d’urgence est apportée aux familles sous forme de chèque d’accompagnement personnalisé (CAP), en lien avec l’Etat.
Les défis d’une mobilisation inédite pour les acteurs humanitaires et sociaux
L’intensité et la rapidité avec laquelle la mobilisation de l’Etat, des institutions de l’asile, collectivités locales, acteurs humanitaires et sociaux, citoyens s’est faite, et cela dans tous les domaines (hébergement, éducation, soins médicaux et psychologiques, etc.), avec pour objectif de prendre en charge immédiatement et entièrement des populations réfugiées, montre à la fois une capacité de réaction importante mais pose également la question de la pérennisation.
A peine sortis de la crise liée au Covid-19, qui durant deux ans les a mobilisés presque sans relâche, les acteurs humanitaires et sociaux sont déjà projetés dans une autre crise d’ampleur internationale et tout aussi inédite. Faire face aux conséquences de ce déplacement de population sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale requière déjà un niveau d’engagement élevé de nombre de praticiens de l’action sociale et de la solidarité internationale. Maintenir un tel niveau d’engagement dans la durée, sans doute durant des années, pour accompagner des dizaines de milliers de familles qui ont choisi la France comme terre d’accueil ou de transit sera un grand défi.
Cette crise aux conséquences mondiales et multiples, et à l’évolution incertaine et rapide nécessite de s’adapter constamment et de s’efforcer d’anticiper au mieux ses effets pour être à la hauteur des besoins émergents. Les volontaires de la Croix-Rouge française gèrent la situation au jour le jour, d’heure en heure même, au gré des besoins, des arrivées. Chaque semaine est différente. Le nombre de personnes arrivant d’Ukraine varie au gré de l’évolution du conflit. Aussi, les volontaires sont plongés dans une situation de guerre, à laquelle ils ne sont pas habitués. La fuite d’un pays où les combats font rage les confronte à de la médecine dite « humanitaire », prodiguée à des personnes parties précipitamment, parfois dans un état de santé grave, et arrivées en France dans des conditions très critiques, sans le traitement dont ils bénéficiaient chez eux.
La charge émotionnelle est très forte pour les volontaires[8], qui œuvrent pour répondre aux besoins et apporter du réconfort à des familles en grande détresse et exténuées à leur arrivée en France, que ce soit dans les centres d’accueil ou via la plateforme téléphonique « Croix-Rouge bonjour ». La parole est souvent rare durant les premières heures, puis elle se libère, donnant à entendre des récits de vies brutalement détruites. Tenter de redonner un peu de normalité et de baume au cœur à ces familles qui ont tout laissé derrière elles est un effort de chaque instant qui marque profondément les volontaires. La gestion de cette charge émotionnelle est un enjeu important de la préservation de leur bien-être et de la continuité de leur engagement et des actions.
Par ailleurs, en dépit de leur caractère exceptionnel, les mesures prises et actions menées à l’attention des exilés Ukrainiens en France posent la question de leur adéquation vis-à-vis des besoins d’une population en transit et composée en grande majorité de femmes, d’enfants et de grands-parents, pour qui il s’agit d’assurer une multitude de services (soutien psychologique, continuité du parcours de soins, régularisation administrative, accès au logement, au système scolaire pour les enfants, à l’emploi pour les adultes, etc.). Le succès de ces actions, et en particulier l’articulation entre d’une part l’aide d’urgence prodiguée dans les lieux de passage que sont les centres d’accueil, d’orientation et d’hébergement, et d’autre part l’accompagnement à l’installation et intégration au niveau local dépend notamment de la coordination des acteurs de la société civile avec les autorités locales, et plus largement des différents réseaux de solidarité, formels et informels, dont peuvent bénéficier les exilés ukrainiens en France.
Objectifs de la recherche
C’est pour participer à la nécessaire réflexion sur la réponse apportée aux conséquences de ce déplacement de population sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale que la Fondation Croix-Rouge française a décidé de lancer cet appel. Celui-ci invite à étudier la façon dont les acteurs humanitaires et sociaux font face et s’adaptent à cette crise – en particulier ceux agissant grâce à des bénévoles –, les difficultés rencontrées et moyens mis en œuvre pour les surmonter et améliorer le sort des exilés ukrainiens en France.
- Comment acteurs humanitaires et sociaux s’adaptent-ils aux spécificités de la crise ukrainienne pour maintenir une réponse adéquate et pérenne aux besoins des exilés ukrainiens accueillis en France ?
- Quels sont les effets de cette crise, et au-delà de la succession des crises sur les modèles associatifs, en terme de modalité de réponse, mise sous tension des réseaux bénévoles, réorientation des moyens, etc.
- Au-delà de l’aide classique (alimentation, accès aux soins, hébergement, accompagnement administratif), comment peut-on répondre dans l’urgence aux défis de l’intégration des personnes victimes du conflit ukrainien (accès à l’emploi, apprentissage de la langue française, scolarité des enfants…) ?
La Fondation portera une attention particulière aux projets de recherche abordant le rôle des bénévoles et l’impact de la crise sur leur bien-être. Les bénévoles sont exposés au quotidien à de nombreuses situations de détresse qui questionnent les modalités de leur formation et accompagnement, tout comme les ressorts de leur engagement dans le cadre d’une crise qui durera probablement plusieurs années. Par ailleurs, la recherche pourra étudier les modalités et effets sur la résilience des exilés ukrainiens[9] d’initiatives ayant permis leur participation à des actions associatives, notamment en tant qu’interprète.
- Comment les bénévoles vivent-ils leur mission et engagement dans cette crise ? Comment perçoivent-ils cette situation, les réponses apportées, et les personnes en qui ils viennent en aide ? Comment ces perceptions varient-elles selon les territoires, les actions menées et aux différents stades de la crise ?
- Quelles sont leurs principales difficultés et principaux besoins des bénévoles engagés auprès des exilés ukrainiens ? Quel est l’impact de l’engagement des bénévoles dans la réponse à cette crise sur leur santé physique et psychologique ? Quelles stratégies d’adaptation développent-ils seuls ou avec leur association pour surmonter leurs difficultés ?
- Le caractère inédit de cette crise et sa potentielle longue durée auront-ils un impact sur l’engagement des personnels bénévoles ? Comment les associations peuvent-elles soutenir et protéger au mieux les bénévoles et personnels exposés ?
- Quelle est la réalité du bénévolat des exilés ukrainiens au sein des associations, et génère-t-il de nouvelles perspectives d’insertion pour eux ?
Secondairement, l’appel invite à étudier plus largement les réseaux de solidarité formels et informels dont peuvent bénéficier les exilés ukrainiens en France – et parmi ces derniers les citoyens français engagés et le rôle de la diaspora ukrainienne –, ainsi que la façon dont tous ces acteurs collaborent entre eux et avec les autorités locales. Penser l’écosystème d’accueil des exilés ukrainiens en France et son évolution au fil du temps consistera à appréhender les différents types de réseaux de solidarité, leur dynamique et les agents qui les composent, ainsi que la façon dont ils coopèrent.
- Quels types de réseaux de solidarité s’offrent aux exilés ukrainiens pour les aider dans leur vie quotidienne et installation en France ? Quels types de ressources sociales ont-ils mobilisés durant leur parcours migratoire et processus d’installation en France ?
- Comment réseaux de solidarités formels et informels coopèrent-ils entre eux, et avec les autorités publiques ? Quel pourrait être un écosystème innovant en matière d’accueil des réfugiés (au sens de réseau d’organisations, de personnes et d’idées qui valorisent les compétences de tous et encourage la cohésion et l’innovation sociale)[10]?
- Qui sont les citoyens français qui s’engagent auprès des exilés ukrainiens pour les accueillir chez eux ? Quels sont les ressorts de leur engagement ? Quelles sont les forces et limites de leurs actions ?
- Dans quelle mesure les diasporas ukrainiennes influent-elles sur l’intégration des nouveaux exilés ukrainiens en France ?
Ces questions de recherche ne sont que des pistes proposées pouvant bien sûr être adaptées en fonction de l’évolution de la situation. La conduite du projet sera étroitement liée aux projets et dispositifs mis en œuvre actuellement par la Croix-Rouge française dans le cadre de la réponse à la crise ukrainienne, mais également aux dispositifs mis en œuvre à une date ultérieure de cet appel, selon l’évolution de la situation.
[1] Croix-Rouge française (2022), Sous le chaos, la solidarité. Premiers mois de conflit en Ukraine, juin 2022, 72 p.
[2] La Croix-Rouge française a été missionnée par la FICR et la Croix-Rouge ukrainienne pour confectionner et acheminer 900 000 kits individuels en Ukraine, afin de répondre à des besoins très ciblés : 400 000 kits alimentaires (plat auto-chauffant, biscuits, fruits secs, eau …), 400 000 kits hygiène (papier toilette, gel hydroalcoolique, shampoing, dentifrice, pansements, couvertures de survie…) et 100 000 kits bébé (lingettes, eau, petits pots …). L’ensemble est complété par 100 000 boîtes de lait maternité, 30 000 paquets de couches, 70 000 paquets de serviettes hygiéniques et 30 000 rasoirs. Le tout a été envoyé dans la ville de Lviv par camions, dès début juillet 2022.
[3] Croix-Rouge française (2022), Sous le chaos, la solidarité. Premiers mois de conflit en Ukraine, juin 2022, 72 p.
[4] Si l’hébergement est l’urgence principale pour les personnes venant d’Ukraine, celle de l’accès aux soins est aussi cruciale. Au centre d’accueil, d’orientation et d’hébergement de Strasbourg par exemple, les réfugiés peuvent bénéficier sur place d’un accompagnement social et médical : une cellule de soutien psychologique, une antenne de dépistage du Covid-19, des consultations médicales, avec médecin et infirmier Croix-Rouge – et interprète au besoin.
[5] Le 22 mars 2022 a eu lieu l’« Opération Cigogne 1 », qui a consisté au rapatriement en France d’enfants malades avec leur famille. Près d’un mois après le début du conflit en Ukraine, 22 enfants atteints de cancer ont atterri en France, pour poursuivre leur traitement loin de la guerre et de ses hôpitaux dévastés. Une centaine de bénévoles de la Croix-Rouge française ont répondu présent pour aider au rapatriement de ces familles.
[6] Les missions du Rétablissement des liens familiaux (RLF), un mandat unique et historique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, consistent notamment à maintenir le lien entre les membres d’une même famille malgré les combats qui font rage et l’exil vers d’autres pays, écouter les témoignages des familles sans nouvelles de leurs proches depuis des semaines, rechercher les personnes disparues au cours du conflit, recenser tous les éléments qui permettront d’identifier les dépouilles, le moment venu.
[7] « Croix-Rouge bonjour », ce sont trois services : 1) un site internet (www.bonjour.croix-rouge.fr), permettant de rendre accessibles (en plusieurs langues) les informations et services à destination des personnes fuyant l’Ukraine mais aussi de toutes celles qui souhaitent s’engager et les accompagner, 2) une ligne téléphonique grand public (0805 389 789, appel gratuit et disponible depuis la France), 3) Une équipe dédiée pour accompagner tous ceux qui s’engagent (joignable via bonjour@croix-rouge.fr).
[8] Lire notamment le témoignage de Mariam Sidibe, coordinatrice du dispositif d’hébergement de la Croix-Rouge française à Marseille ; « La charge émotionnelle est très forte pour nous aussi », In Croix-Rouge française (2022), Sous le chaos, la solidarité. Premiers mois de conflit en Ukraine, juin 2022, p. 37.
[9] La « résilience » est un concept qui fait largement écho aux études du psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik. Dans son ouvrage Autobiographie d’un épouvantail (2008), celui-ci défend l’idée que la valorisation des individus dans le processus de secours et de sauvetage est un des piliers de leur résilience.
[10] « Pour un écosystème humanitaire diversifié, centré sur les populations et structuré par les principes humanitaires ». Grotius, 2016. https://grotius.fr/pour-un-ecosysteme-humanitaire-diversifie-centre-sur-les-populations-et-structure-par-les-principes-humanitaires/#.Yqcyji8RpN0
Zone géographique de recherche
La recherche aura lieu en France.
Bourses de recherche individuelles
Nombre de bourses : 2
Montant : 18 000 €
Chaque lauréat bénéficiera en outre de :
- la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros).
- suivi scientifique et tutorat personnalisés
- accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publications sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
- abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires
Dates clés :
1er août 2022 : lancement de l’appel
9 octobre 2022 : clôture du 1er cycle de candidatures à minuit (heure de Paris)
30 octobre 2022 : clôture du 2ème cycle de candidatures à minuit (heure de Paris)
20 novembre 2022 : clôture du 3ème cycle de candidatures à minuit (heure de Paris)
30 octobre pour le 1er cycle, 20 novembre pour le 2ème, 16 décembre 2022 pour le 3ème : annonce des résultats
Entre le 1er novembre 2022 et le 1er janvier 2023 (selon la date de sélection) : début de la recherche
Entre le 1er novembre 2023 et le 1er janvier 2024 (selon la date de sélection) : rendu des livrables finaux
Mots-clés :
- Migration
- Réfugiés
- Exil
- Accueil
- Ukraine
Financé par :
Crédit photo : ©Pixabay