Thématique de recherche

Il existe deux principales pathologies bucco-dentaires : la carie dentaire et les maladies parodontales. La carie non traitée est l’affection bucco-dentaire la plus fréquente avec environ 2,3 milliards de personnes touchées[1]  à l’échelle mondiale. En France, près de 80 % de la population adulte est concernée. La prévalence des maladies parodontales est également forte auprès de la population adulte. Elles sont la cause principale de pertes dentaires après 45 ans. 15 % des adultes développent des formes sévères de maladies parodontales[2].

Les facteurs de risque associés à ces pathologies bucco-dentaires sont communs à d’autres maladies non transmissibles. Ainsi, une alimentation non équilibrée (riche en sucre notamment), la consommation de tabac et la consommation d’alcool augmentent la probabilité de souffrir de maladies bucco-dentaires.

Une mauvaise santé orale a des effets sur l’état de santé globale des personnes. En effet, elle affecte le système immunitaire, le système respiratoire, les habitudes alimentaires et la qualité de vie (douleurs, stress, manque d’estime de soi dû à une édentation partielle ou complète, etc.). Une simple carie non traitée peut ainsi avoir pour conséquence une perte de dents.

 

Un accès aux soins bucco-dentaires marqué par de fortes inégalités sociales

L’existence d’une association entre la prévalence, la gravité des pathologies bucco-dentaires et le statut socio-économique (revenu, diplôme) a été démontrée par de nombreux travaux[3]. Ainsi les personnes en situation de pauvreté ou de vulnérabilité sont surreprésentées parmi celles nécessitant des soins bucco-dentaires[4].

Parmi elles, figurent notamment les personnes sans domicile et les exilés[5]. D’après l’étude HYTPEAC menée par l’Observatoire du Samu social de Paris[6], 26,6 % des personnes sans domicile vivant dans la rue ne se brossent jamais les dents, contre 4,1 % pour les personnes hébergées en centres. Par ailleurs, une étude sur l’état de santé des migrants primo-arrivants en Île-de-France a montré que cette population était fréquemment touchée par des problèmes bucco-dentaires : 32% des problèmes de durée moindre déclarés relevaient d’une affection bucco-dentaire[7].

Or, malgré des avancées salutaires observées notamment dans la prévention et la prise en charge des caries chez les enfants, l’accès à ce type de soins demeure inégalitaire[8][9][10]. D’après une enquête de l’IRDES, plus d’un cas de renoncement aux soins sur deux concerne les soins bucco-dentaires[11].

9 enfants de cadres âgés de 6 ans sur 10 n’ont jamais eu de caries contre 7 enfants d’ouvriers sur 10 en 2006[12]. Par ailleurs, une enquête menée auprès de jeunes élèves à Clermont-Ferrand a montré qu’une plus forte prévalence de la maladie carieuse s’observe chez les enfants scolarisés en zone d’éducation prioritaire (ZEP)[13]. Être issu d’un milieu social défavorisé a donc, dès le plus jeune âge, un impact sur la probabilité de développer une carie, mais également sur la probabilité d’être soigné. En classe de 3e, les enfants de cadres consultent trois fois plus un dentiste que les enfants d’ouvriers[14].

Le motif économique constitue une forte barrière d’accès aux soins bucco-dentaires[15]. En 2016, si les ménages supportent environ 8 % de la dépense de santé totale, en moyenne 22,7 % de la dépense pour des soins bucco-dentaires restent à leur charge[16]. Près de 95 % des Français disposent d’une assurance santé complémentaire[17], cependant la couverture offerte par les contrats varie fortement. En outre, le bénéfice de la PUMa (Protection Universelle Maladie) n’est pas aussi important pour les soins dentaires que pour les soins médicaux : 14% des bénéficiaires renoncent encore à des soins dentaires pour raisons financières[18]. Les bénéficiaires du RSA déclarent renoncer plus souvent à consulter un médecin ou à recevoir des soins dentaires pour des raisons financières : 18 % disent avoir renoncé à une consultation médicale au cours de l’année écoulée et 27 % à des soins dentaires, contre respectivement 4 % et 11 % parmi l’ensemble des 18-59 ans[19].

 

Dispositifs de prévention et d’accès aux soins bucco-dentaires à destination des publics vulnérables

En 1998, la loi relative à la lutte contre les exclusions introduit dans le code de santé publique un article prévoyant la création de « Permanences d’Accès aux Soins de Santé » (PASS) dont le but est de faciliter l’accès aux soins et à la prévention des personnes en situation de précarité[20]. Plus de 400 PASS sont implantées sur le territoire. À partir de 2009, des PASS spécialisées ont fait leur apparition. Elles sont dédiées à des types de soins, dont les soins bucco-dentaires, pour lesquels les personnes en situation de précarité ont un accès particulièrement limité. Néanmoins, cette offre émanant du secteur public hospitalier n’assure pas un maillage du territoire suffisant. En région parisienne, seules 3 PASS spécialisées en santé bucco-dentaires sont ouvertes.

Au-delà de l’évolution de l’offre de soins, les publics accueillis se transforment également. Traditionnellement, ces structures s’adressent aux personnes marginalisées, migrantes et sans domicile. Depuis quelques années, elles reçoivent de nouveaux publics socialement vulnérables qui ne bénéficient pas de la PUMa ou qui n’ont pas de complémentaire santé satisfaisante (familles monoparentales, retraités, étudiants)[21]. Cette hausse de la demande est également constatée par les acteurs associatifs et sociaux, qui ont développé en complément de ces dispositifs publics une offre de prévention et de prise en charge sanitaire et sociale ciblant les personnes en situation d’exclusion.

L’« Accueil Santé-Social » (AcSS) est un dispositif de la Croix-Rouge française qui, depuis sa création en 1987, s’inscrit dans une démarche partenariale en jouant un rôle d’intermédiaire avec les services médicaux et sociaux. Il vise à renforcer l’accès à la prévention, aux soins et aux droits de santé des populations les plus vulnérables[22]. Le travail en réseau avec les différents professionnels (professionnels de santé, travailleurs sociaux, responsables administratifs, monde associatif, hôpitaux) permet une plus grande cohérence dans la prise en charge et l’orientation des personnes aidées afin de promouvoir la prise en compte globale des difficultés sanitaires et sociales. Les bénévoles de la Croix-Rouge française sont chargés d’évaluer l’éligibilité des personnes aux droits à une couverture maladie et de les orienter vers des personnes ressources et travailleurs sociaux du territoire (CCAS, Conseil Départemental, CAF…) pour en demander l’ouverture. En plus d’un suivi social, une consultation médicale gratuite est proposée.

Parmi les personnes en situation de précarité reçues dans le réseau d’Accueils Santé-Social (AcSS) de la Croix-Rouge française, 75 % ont des problèmes bucco-dentaires non pris en charge et une santé orale très dégradée. Dans les AcSS, des consultations dentaires bénévoles sont proposées via des cabinets fixes, mais également mobiles dans une stratégie d’« aller vers » les populations à l’écart de ce type de soins. De façon générale, les soins pratiqués dans ces structures sont principalement de type conservateur (détartrage, traitement des caries et dévitalisation dentaire), mais des actes chirurgicaux, notamment des extractions dentaires, peuvent également être pratiqués.

Les résultats d’une étude sur l’accès aux soins menée au sein d’Accueils Santé-Social sont sans appel. Parmi les personnes fréquentant ces dispositifs, 59 % renoncent à des soins généralistes contre 3 % de la population générale, et 65 % renoncent aux soins dentaires contre 10 % de la population. Le motif économique explique 70% des renoncements de soins, contre 15% pour la population générale. Près de 33 % de ces personnes reçues dans les AcSS estiment être en mauvaise ou très mauvaise santé[23].

 

La nécessité d’une recherche

Le premier objectif de cet appel est d’étudier les barrières d’accès à la prévention et aux soins bucco-dentaires des personnes en situation de précarité. Malgré la prise en charge totale ou partielle des coûts liés à la santé bucco-dentaire, les situations de non recours et de renoncement aux soins bucco-dentaires se multiplient et s’intensifient. En dépit des douleurs intenses voire insupportables, les comorbidités associées, les difficultés liées à l’alimentation, l’impact sur l’estime de soi et l’inclusion sociale[24], cette demande est rarement exprimée en tant que telle, et non ressentie comme une priorité par les personnes concernées. A cela s’ajoute la difficulté très concrète d’accès à l’hygiène pour les personnes en situation de grande précarité, inextricablement mêlée aux difficultés d’accès aux services et aux droits de santé.

Les candidat.e.s à cet appel sont donc particulièrement encouragé.e.s à aborder :

  • les facteurs de vulnérabilité associés et les conséquences d’un mauvais état de santé bucco-dentaire pour les personnes en situation de précarité (santé, estime de soi, inclusion sociale, etc.) ;
  • les barrières d’accès et facteurs de non recours ou renoncement à la prévention et aux soins bucco-dentaires des personnes en situation de précarité ;
  • le ressenti des populations concernées (stigmates, craintes et représentations liées aux soins dentaires, etc.).

Le second objectif de cet appel est d’étudier les obstacles et perspectives d’amélioration de l’offre de services bucco-dentaires dédiée aux personnes en situation de vulnérabilité et prodiguée par des dispositifs publics et associatifs, qui qui font face actuellement à une forte croissance de la demande.

Les candidat.e.s à cet appel sont donc particulièrement encouragé.e.s à aborder également :

  • la diversification des profils de personnes ayant recours à ces dispositifs publics et associatifs ;
  • les pratiques bucco-dentaires des personnes en situation de précarité et leurs usages des services existants au regard de leurs besoins ;
  • les obstacles rencontrés par les dispositifs et messages de prévention et sensibilisation en santé bucco-dentaire qui, outre les barrières, principalement économiques, peuvent limiter l’accès aux soins bucco-dentaires (stigmates, craintes et représentations liées aux soins dentaires, etc.) ;
  • les leviers d’action permettant d’améliorer l’offre de services bucco-dentaires dédiée aux personnes en situation de vulnérabilité et prodiguée par des dispositifs publics et associatifs (nouveaux partenariats, nouvelles approches, développement de réponses complémentaires, etc.).

 

[1] OMS, 2018 https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/oral-health
[2] Ministère des solidarités, https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/article/sante-bucco-dentaire
[3] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/oral-health
[4] Précarité et état de santé bucco-dentaire, Bulletin d’information en économie de la santé n°16, IRDES, 1998
[5] Florence Lot, Sylvie Quelet, La santé et l’accès aux soins des migrants : un enjeu de santé publique, BEH n°19-20, Santé Publique France, 2017
[6] ARNAUD, A. et VANDENTORREN S. 2014. Enquête HYTPEAC. Rapport sur l’Hygiène de la Tête aux Pieds Ectoparasitoses et Affections cutanées. Observatoire du Samu Social de Paris.
[7] GUISAO, A. 2017 « La Santé des migrants primo-arrivants : résultats des bilans infirmiers réalisés d’octobre 2015 à mars 2016 dans des centres franciliens hébergeant des migrants évacués des campements parisiens » Bulletin Epidémiologique hebdomadaire. N°19-20.
[8] ONCD, Accès aux soins bucco dentaires, Rapport de l’Ordre National des Chirurgiens-Dentistes, 2017
[9] S. AZOGUI-LÉVY, F. BOURDILLON, H. ITTAH-DESMEULLES, M. ROSENHEIM, M. SOUAMES, J. AZERAD, Etat dentaire, recours aux soins et précarité, pp203-211, Revue d’épidémiologie et de santé publique, vol 54, n°3, 2006
[10] Carlos Madrid, Marcelo Abarca, Sabina Pop, Kahina Bouferrache, Patrick Bodenmann, Hans Wolff Santé buccale : déterminants sociaux d’un terrain majeur des inégalités, Rev Med Suisse volume 5, 2009
[11] ALLONIER C., DOURGNON P., ROCHEREAU T. Enquête sur la santé et la protection sociale 2008. Paris : Irdes, rapport n° 1800, juin 2010 : 254 p. En ligne : http://www.irdes.fr/Publications/Rapports2010/rap1800.pdf
[12] CALVET L., MOISY M., CHARDON O., GONZALEZ L. et GUIGNON N.  (2020, octobre). Santé bucco-dentaire des enfants : des inégalités dès le plus jeune âge. Études et résultats, 847. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/sante-bucco-dentaire-des-enfants-des-inegalites-des-le-plus-0
[13] Haute Autorité de Santé, 2010, Stratégies de prévention de la carie dentaire. Argumentaire. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2010-10/corriges_rapport_cariedentaire_version_postcollege-10sept2010.pdf
[14] Croix-Rouge française, 2016, Pacte pour la santé globale des plus vulnérables ? Rapport 2016. https://www.croix-rouge.fr/content/download/1373111/19779828/version/3/file/Pacte+sante+2016+CRF.pdf
[15] Catherine Vincelet, Sylvie Azogui-Lévy, Isabelle Grémy, Etat bucco-dentaire et recours aux soins préventifs et curatifs de la population francilienne adulte, ORS Ile-de-France, 2008
[16] LAPINTE A. « Reste à charge et santé. Quelles conséquences ? Quelles prises en charge ? » ADSP, n°102, mars 2018.
[17] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference/panoramas-de-la-drees/la-complementaire-sante-acteurs
[18] AGOUI-LEVY S., ROCHEREAU T. « Pourquoi s’intéresser à la santé bucco-dentaire ? Repères épidémiologiques et économiques ». La Santé de l’Homme n°418, pp31-33, INPES, 2012
[19] Croix-Rouge française, 2016, Pacte pour la santé globale des plus vulnérables ? Rapport 2016. https://www.croix-rouge.fr/content/download/1373111/19779828/version/3/file/Pacte+sante+2016+CRF.pdf
[20] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01812565/document
[21] PFISTER, Valérie, GUIBOUX, Loriane, et NAITALI, Juliane. Les permanences d’accès aux soins de santé: permettre aux personnes vulnérables de se soigner. Informations sociales, 2014, no 2, p. 100-107. https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-2-page-100.htm?ref=doi&contenu=article
[22] https://www.croix-rouge.fr/Je-m-engage/Benevolat/Toutes-les-missions-benevoles-de-la-Croix-Rouge/Benevole-au-sein-d-un-accueil-sante-social
[23] Croix-Rouge française, 2016, Pacte pour la santé globale des plus vulnérables ? Rapport 2016. https://www.croix-rouge.fr/content/download/1373111/19779828/version/3/file/Pacte+sante+2016+CRF.pdf
[24] Promouvoir la santé bucco-dentaire, La Santé de l’Homme n°418, pp31-33, INPES, 2012.

Zone géographique de recherche

La recherche aura lieu en France.

Crédit photo : Croix-Rouge française

Candidatures closes

Bourse de recherche (individuelle)

Nombre de bourse : 1

Niveau de recherche : postdoctoral 

Montant : 18 000 €

Chaque lauréat bénéficiera en outre de :

• la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros)
• suivi scientifique et tutorat personnalisés
• accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publication sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
• abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires

Dates clés :

• 13 sept. 2021 : lancement de l’appel
• 1er nov. 2021 : clôture des candidatures à minuit (heure de Paris)
• 9 déc. 2021 : annonce des résultats
• 1er janv. 2022 : début de la recherche
• 1er janv. 2023 : rendu des livrables finaux

Mots-clés :

• Santé
• Précarité
• Inégalités
• Hygiène

Financé par :

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