Conséquences de l’exil en France pour les personnes âgées venant d’Ukraine

L’appel sera ouvert durant au moins quatre semaines à compter du lancement le 20 juin 2022, et se terminera le 17 juillet. L’appel pourra être prolongé si nécessaire. Au cours de cette période, les candidatures seront examinées par cycles. Il y aura 2 cycles d’examen des candidatures : le premier sera clos le 3 juillet à minuit (heure de Paris), tandis que le second sera clos le 17 juillet à minuit (heure de Paris). La Fondation fournira une décision de financement à chaque candidat dans les deux semaines suivant la date limite de chaque cycle. Les chercheurs devront être en mesure de démarrer les activités de recherche dès que possible afin que les résultats éclairent la réponse actuelle.

Thématique de recherche

Pour Alain Villez, président des Petits Frères des Pauvres, les personnes âgées « sont les grands oubliés dont on ne parle pas ou presque » dans le drame que vit la population ukrainienne depuis le déclenchement de l’aggression russe le 24 février 2022[1]. « La situation en Ukraine nous rappelle, une fois de plus, la place particulièrement exposée des personnes âgées dans les zones de guerre et zones de crises humanitaires », écrit-il[2], à l’instar du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Sadako Ogata, qui déclarait en 1999 que « les réfugiés âgés sont invisibles depuis trop longtemps »[3].

Un quart de la population ukrainienne est âgée de 60 ans ou plus. Ces 10 millions de personnes, dont certaines sont incapables de quitter les zones de conflit, font partie des plus exposées aux bombardements. Depuis plusieurs années déjà, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés décrit des cas dramatiques dans les régions séparatistes à l’Est du pays, où des villages entiers ne sont plus peuplés que par des personnes âgées, les plus jeunes ayant fui le conflit et les bombardements, et où l’accès à la nourriture, aux soins ou médicaments devient de plus en plus compliqué quand il n’est tout simplement impossible.

Avant la guerre, la situation des personnes âgées ukrainiennes était déjà difficile, « dans un pays où leur prise en charge est totalement défaillante et laissée à la merci de structures privées ou illégales », et où « les solidarités familiales s’effritent devant l’exode rural et l’exil à l’étranger d’une partie importante de la population »[4]. La guerre est venue « précipiter une situation qui était déjà empreinte d’une grande misère humaine »[5] pour les personnes âgées restées en Ukraine.

Celles qui ont trouvé refuge en Europe, parmi les 6 millions d’Ukrainiens qui ont quitté leur pays suite à l’agression russe de février 2022, bénéficient en revanche d’une mobilisation sans précédent. Celle-ci suscite un effort financier et une démonstration de solidarité de la part des Etats, institutions de l’asile, collectivités locales, citoyens européens jamais égalée : admission du droit au séjour des Ukrainiens en Europe une semaine seulement après le début du conflit et par tous les pays membres de l’Union européenne, droit accompagné d’un accès au soin, d’une aide sociale et financière, d’une mobilité possible sur le continent et l’autorisation de travailler, ouverture massive de places d’hébergement d’urgence, propositions d’hébergements citoyens, etc.

En France, où plus de 70 000 personnes auraient trouvé refuge selon les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) publiés mercredi 27 avril 2022[6], cette réaction a permis de lever immédiatement les obstacles majeurs qui empêchent habituellement l’installation et l’insertion des étrangers primo-arrivants dans le pays.

Cela dit, l’intensité et la rapidité avec laquelle cette mobilisation s’est faite, et cela dans tous les domaines (hébergement, éducation, soins médicaux et psychologiques, etc.), avec pour objectif de prendre en charge immédiatement et entièrement des populations réfugiées, montre à la fois une capacité de réaction importante mais pose également la question de la pérennisation.

Aussi, les exilés ukrainiens âgés constituent une population particulièrement vulnérable, qui cumule les facteurs liés à l’exil et au vieillissement, ce qui doit amener une réflexion approfondie sur les modalités de leur installation et intégration au niveau local, la réponse adéquate à leurs vulnérabilités spécifiques et besoins en termes d’accueil.

De manière générale, la plupart des réfugiés se trouvent en effet confrontés à trois principaux problèmes qui n’épargnent pas les réfugiés âgés[7] :

  • la désintégration sociale: systèmes d’aide sociale publics et familiaux défectueux en raison de la crise et de la dispersion des membres de la famille, d’où une augmentation du nombre de personnes âgées ayant besoin d’assistance ;
  • la désaffection sociale: sélection sociale négative via le départ des jeunes et personnes en bonne santé, abandonnant les personnes les plus faibles et les plus vulnérables et laissant alors les personnes âgées dans une situation particulièrement désespérée ;
  • la dépendance chronique: situation d’exil aggravée par la pauvreté et la misère (manque d’accès aux droits et services sociaux) pour les personnes âgées seules, sans soutien de l’Etat ou de leur famille.

Dans le cas des réfugiés âgés, ces problèmes se conjuguent souvent, et les réponses sont peu adaptées, tant les besoins de cette population spécifique sont souvent négligés, en raison du fait que les réfugiés âgés sont loin d’être aussi visibles que les autres, en particulier les jeunes hommes[8]. La personne âgée est par définition celle qui ne pourra pas s’intégrer dans la société d’accueil par le travail, qui reste le vecteur essentiel d’intégration. Aussi, sa vulnérabilité spécifique, s’il y a lieu, vient donner plus d’importance encore à la question du lieu en fin de vie, en écho à l’espoir, pour beaucoup, du retour à la terre natale avant la mort.

Un rapport du « Centre for Policy on Ageing »[9] du Royaume-Uni a identifié les principaux problèmes auxquels les exilés âgés sont confrontés :

  • le manque de revenus: moins susceptibles d’obtenir un emploi rémunéré, les réfugiés âgés sont confrontés à des problèmes de revenus encore plus graves que les réfugiés en général ;
  • les problèmes d’apprentissage de la langue: avoir de bonnes connaissances de la langue du pays d’accueil est une condition importante pour une intégration réussie, or l’apprentissage d’une langue devient généralement plus difficile avec l’âge ;
  • la solitude et l’isolement social : la rupture des liens familiaux, et la tendance des autorités locales à répartir les demandeurs d’asile dans tout le pays d’accueil, et ainsi d’éviter la ghettoïsation, peut être difficile pour les migrants âgés, qui dépendaient du soutien de leur famille et ont besoin de développer des réseaux sociaux au sein des communautés locales dans leur pays d’accueil ;
  • les problèmes de santé mentale : les réfugiés et demandeurs d’asile âgés peuvent souffrir de problèmes de santé mentale en raison de traumatismes causés par la violence du déracinement et du parcours migratoire
  • les problèmes de santé physique: nombreuses sont les personnes âgées qui souffrent de maladies chroniques et qui, par manque d’accès ou de moyens, renoncent à un traitement.

Cela dit, on ignore encore beaucoup des conséquences de l’exil pour les personnes âgées. D’un point de vue quantitatif, selon le « Portail sur les données migratoires »[10], il est important de recueillir, de traiter et de communiquer des données sur les personnes âgées dans le contexte de la migration afin d’améliorer les politiques et la planification. « Actuellement, plusieurs sources fournissent des données sur la migration ventilées par âge. Néanmoins, étant donné la grande attention portée à l’aide aux groupes de migrants les plus vulnérables, à savoir les femmes et les enfants, les données sur la population migrante âgée ne sont qu’occasionnellement préparées et utilisées. […] Ces dernières risquent d’être négligées, ce qui pourrait perpétuer les vulnérabilités et les inégalités. En outre, les données sur les personnes âgées restées au pays et leurs besoins sont insuffisantes. »[11] Sur le terrain, les organisations venant en aide aux réfugiées ne recueillent presque pas de données sur les personnes âgées et leurs besoins particuliers en matière de soins de santé[12].

Aussi, les chiffres traduisent mal le vécu, le rôle et les difficultés individuelles rencontrées par les personnes âgées en situation d’exil.

D’une part, les traumatismes liés au parcours d’exil, au déracinement, aux violences et privations vécues dans le pays d’origine et le pays d’accueil, la perspective de vieillir et de mourir dans un pays inconnu, recèlent de profondes conséquences à surmonter au quotidien. Comme le soulignent C. Bolzman et H. Scott dans leur étude de 1999 axée sur les aspects psychologiques des réfugiés âgés, « le vieux survivant doit regarder à nouveau l’interminable deuil et la souffrance »[13].

D’autre part, si le sort des réfugiés âgés peut être dur, ils ne doivent pas être vus comme des bénéficiaires passifs et dépendants de l’assistance. Les réfugiés âgés sont souvent des chefs officiels ou officieux de leurs communautés. Ils constituent des ressources précieuses pour le maintien du niveau de vie des ménages, au plan de l’orientation et du conseil, ils transmettent la culture, les qualifications et les métiers qui contribuent beaucoup à préserver les traditions des personnes dépossédées et déplacées. Par exemple, les résultats d’une enquête sur le vieillissement des ménages migrants et non migrants dans les communautés d’origine, dont le Kirghizistan, le Bangladesh, le Mozambique et la Jamaïque, ont révélé l’existence d’un nombre important de ménages à « génération sautée » composés de personnes âgées et de petits-enfants, au sein desquels les personnes âgées sont susceptibles d’aider leurs enfants adultes qui ont migré en s’occupant des enfants, en effectuant des tâches ménagères et par des contributions financières[14].

En 2000, le Comité permanent du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a adopté une « Politique sur les réfugiés âgés ». Fondé sur les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, adoptés en 1991, ce texte insiste sur le fait que les réfugiés âgés ne doivent pas être perçus comme des individus passifs recevant l’aide, mais comme des personnes utiles ayant beaucoup à offrir[15]. En conséquence, et sur la base d’une étude entreprise par l’ONG HelpAge International[16], le HCR s’est rendu compte qu’en dépit de leurs besoins spécifiques il était plus bénéfique aux réfugiés âgés d’être intégrés aux programmes d’ensemble de protection et d’assistance plutôt que de disposer de services séparés.

Toutefois, en plus d’être souvent négligés lorsqu’il s’agit de leurs besoins particuliers en matière de santé, les réfugiés âgés reçoivent souvent peu de reconnaissance pour la contribution qu’ils apportent aux familles et aux communautés, explique Sigrid Lupieri[17].

C’est pour participer à la nécessaire réflexion sur les conséquences de ce déplacement de population – sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale – pour une frange de la population particulièrement vulnérable et négligée que la Fondation Croix-Rouge française a décidé de lancer cet appel. Celui-ci invite à étudier les conséquences de l’exil en France pour les personnes âgées venant d’Ukraine, notamment l’adéquation de l’aide prodiguée aux spécificités de cette population en exil, en particulier les modalités de l’installation et de l’intégration au niveau local, les vulnérabilités spécifiques, les besoins en termes de santé, etc.

  • Qui sont les personnes âgées venant d’Ukraine en exil en France ? Dans quelle situation familiale, matérielle, physique, etc. se trouvent-elles ?
  • Comment perçoivent-elles leur situation et leur avenir ? Comment apprécient-elles leur vie en France et la qualité de leur prise en charge ?
  • Comment se déroule leur accueil en France ? Dans quelles conditions vivent-elles ?
  • Quels sont leurs besoins et comment les satisfont-elles ?
  • Quelles sont les conséquences de leur mode d’accueil sur leurs vulnérabilités et leur prise en charge (accès aux soins, etc.) ?
  • Quels liens gardent-elles avec leur pays d’origine ?

[1] Alain Villez, « Ukraine : n’oublions pas les personnes âgées ! », Ouest-France, 18/03/2022.

[2] Ibid.

[3] National institute of adult continuing education (NIACE), Older refugees and asylum seekers in the UK : the challenge of accessing education and employment, Briefing Sheet 86, janvier 2009, p. 1.

[4] Alain Villez, « Ukraine : n’oublions pas les personnes âgées ! », Ouest-France, 18/03/2022.

[5] Ibid.

[6] Ces réfugiés ont été recensés via l’allocation pour demandeurs d’asile (Ada), l’indicateur le plus fiable pour mesurer le nombre de déplacés ukrainiens installés en France. « Nous dépassons ce jour les 70 000 déplacés ukrainiens couverts par l’allocation », a ainsi fait savoir le directeur général de cette administration, le préfet Didier Leschi (https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/nombre-de-refugies-accueillis-aides-trois-questions-sur-l-asile-des-ukrainiens-en-france_2172766.html).

[7] Executive Committee of the High Commissioner’s Programme, Older Refugees: Looking Beyond the International Year of Older Persons, UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), 7 February 2000.

[8] Selon les estimations, les migrants âgés représentaient 34,3 millions de personnes, soit 12,2 % de la population de migrants internationaux au milieu de l’année 2020 (Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies 2020 : https://www.un.org/development/desa/pd/content/international-migrant-stock).

[9] Centre for Policy on Ageing (2016), Diversity in older age – Older refugees and asylum seekers http://www.cpa.org.uk/information/reviews/CPA-Rapid-Review-Diversity-in-Older-Age-Refugees-and-Asylum-Seekers.pdf

[10] Le Portail, lancé en décembre 2017, est géré et développé par le Centre d’analyse de données migratoires mondiales (Global Migration Data Analysis Centre, GMDAC) de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). https://www.migrationdataportal.org/fr

[11] Ibid.

[12] Voir notamment l’étude de Sigrid Lupieri sur la santé des réfugiés syriens âgés en Jordanie : Sigrid Lupieri (2018), The neglected health needs of older Syrian refugees in Jordan, Forces Migration Review, Syrians in displacement, N°57, February 2018.

[13] Bolzman C. et Scott H., « Exil et vieillesse : les réfugiés âgés en Europe », Diversité et citoyenne citoyenneté : la lettre de l’IRFAM, n°22, février 2010, Liège, p. 22 à 29

[14] UNFPA and HelpAge International (2012), Ageing in the Twenty-First Century, UNFPA and HelpAge International.

[15] Executive Committee of the High Commissioner’s Programme, Older Refugees: Looking Beyond the International Year of Older Persons, UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), 7 February 2000.

[16] Le HCR et le Bureau humanitaire de la communauté européenne (ECHO) ont conjointement mandaté une étude sur les personnes âgées dans les situations d’urgence, étude qui a été entreprise par l’ONG HelpAge International (HAI) et qui a abouti à la rédaction d’un guide intitulé The Ageing World and Humanitarian Crisis : Guidelines for Best Practice. HAI a conclu « si l’invisibilité, l’exclusion et l’impuissance sont des thèmes communs émergeant de l’expérience des personnes âgées, la consultation, l’inclusion et la prise en charge de soi par le biais du partenariat ont émergé comme les premiers indicateurs de pratiques exemplaires ».

[17] Sigrid Lupieri (2018), The neglected health needs of older Syrian refugees in Jordan, Forces Migration Review, Syrians in displacement, N°57, February 2018.

Zones géographiques de recherche

 

La recherche aura lieu en France.

Appel Clos

Bourse de recherche (individuelle)

Nombre de bourse : 1

Montant : 18 000 €

Chaque lauréat bénéficiera en outre de :

  • la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros).
  • suivi scientifique et tutorat personnalisés
  • accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publications sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
  • abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires

Dates clés :

  • 20 juin 2022 : lancement de l’appel
  •  3 juillet 2022 : clôture du 1er cycle de candidatures à minuit (heure de Paris)
  • 17 juillet 2022 : clôture du 2nd cycle de candidatures à minuit (heure de Paris)
  • 17 juillet pour le 1er cycle et 31 juillet pour le 2nd : annonce des résultats
  • 1er ou 15 août 2022 : début de la recherche
  • 1er ou 15 août 2023 : rendu des livrables finaux

Mots-clés :

  • Migration
  • Réfugiés
  • Exil
  • Vieillesse
  • Personnes âgées
  • Ukraine

Financé par :

crédit photo : ©European Union