Localisation de l’aide - Culture manageriale internationale - Violence symbolique
Aujourd’hui, tout en restant dépendant des bailleurs de fonds de l’humanitaire et du développement, le Burkina Faso affiche une ferme volonté de prendre en charge les interventions humanitaires sur son territoire. Comment se manifeste cet engagement dans la transition humanitaire et quels en sont les enjeux et les spécificités locales ? Quelle est la marge de manœuvre des autorités gouvernementales ? Comment réagissent les ONG ? Quels sont les les limites et les points de blocage de cette démarche ? Telles sont les questions que se pose l’équipe de Jacky Bouju.
Pour y répondre, la recherche analyse tout particulièrement la perception des normes managériales d’accès aux financements par les bénéficiaires du Sud, ainsi que le contrôle des dépenses qui leur est imposé par les partenaires bailleurs du Nord. L’étude met en évidence la violence symbolique qui s’incarne dans les normes de la culture managériale imposée par la bureaucratie des agences internationales. Une culture managériale, fondée sur un modèle unique, ethnocentrée, et largement inadaptée aux réalités des sociétés du sud. La recherche s’intéresse également aux arguments déployés par les partenaires du Nord pour justifier ces impératifs normatifs.
Au Burkina Faso comme ailleurs, la différence de moyens financiers entre les partenaires du Nord et les partenaires locaux engendre des déséquilibres dans les termes de l’échange entre les contributions et les rétributions attendues par chacun. L’asymétrie intrinsèque à ce mode de partenariat-patronage est bien rendue par ce proverbe Ouest-Africain : « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit ». Ce proverbe exprime la violence symbolique du pouvoir que détient le partenaire qui dispose du pouvoir d’allouer les ressources financières de l’aide. Empiriquement, cette violence symbolique s’incarne dans les normes de la culture managériale imposée par la bureaucratie des grandes agences internationales. Cette culture managériale obéit à un modèle unique, profondément ethnocentrique et largement inadapté aux réalités des sociétés du Sud, le New Public Management qui est au centre des dispositifs d’instrumentation de l’action humanitaire sur le terrain. Notre enquête à Ouagadougou a montré que l’instrumentation de l’action était concomitante à la contractualisation des partenariats et qu’elle était principalement centrée sur la gestion administrative des dispositifs d’accès aux subventions et aux conventions de financement et sur la gestion des règles budgétaires et comptables qui organisent la redevabilité des partenaires du Sud. Or, ces dispositifs et instruments comptables et leurs modalités de mise en oeuvre ne sont pas neutres culturellement. Ils produisent des effets spécifiques qui structurent l’action, ils imposent leurs propres contraintes, leurs propres logiques exogènes en fonction de normes d’action préétablies. Mais les partenaires du Sud enfermés dans les contraintes de la dépendance financière ne sont pas sans pouvoir de réaction. A la violence symbolique de l’ordre établi par les normes bureaucratiques, ils opposent diverses formes de violence systémique. In fine, l’ethnocentrisme et l’inégalité économique des acteurs construisent des partenariats-patronages structurés par des relations de coopération conflictuelle très éloignées de l’idéal égalitaire connoté par la notion de partenariat.