« Par nous, pour nous » : les initiatives humanitaires autogérées des réfugiés soudanais en Jordanie
Cette recherche vise à comprendre comment les réfugiés renversent les catégories de « bénéficiaires » et de « donateurs ». Il s’agira d’étudier les multiples possibilités d’autonomie dans un contexte contraint de la migration forcée.
Contexte et enjeux humanitaires ou sociaux et problématique
Ce projet de recherche porte sur le rôle des réfugiés soudanais dans l’écosystème humanitaire à Amman en Jordanie ainsi que leurs initiatives autogérées dans un contexte de transition humanitaire et de localisation de l’aide. Si la littérature sur la localisation de l’aide a montré comment les institutions internationales négocient et s’adaptent aux normes locales, peu d’études ont appréhendé les réfugiés comme des acteurs du « local » et comme pourvoyeurs de l’aide. C’est d’autant plus le cas dans le contexte des mobilités Sud-Sud qui étoffent et complexifient le concept du « local ». Pour ce faire, cette recherche a pour cas d’étude les initiatives humanitaires mises en place et autogérées par les réfugiés soudanais à Amman. Ces initiatives concernent principalement les besoins en protection légale et d’éducation des réfugiés.
D’une part, cette recherche a pour objectif d’identifier les initiatives humanitaires gérées par les réfugiés, quelle que soit leur nationalité et d’en dresser une typologie. Il s’agit ensuite de comprendre comment elles évoluent différemment dans l’écosystème humanitaire en Jordanie et de souligner leurs relations, de dépendance et d’interdépendance, avec les autres acteurs et de mettre en lumière les synergies à l’œuvre. D’autre part, à partir d’une approche micro et de participations observantes à ces initiatives, il s’agit de cerner l’effet des appartenances ethnico-sociales sur les perceptions des pourvoyeurs de l’aide et des bénéficiaires. Si ces initiatives sont principalement dédiées aux réfugiés, elles incluent en effet d’autres groupes ethnico-sociaux, à l’instar des Jordaniens et des Occidentaux. Il s’agit de comprendre l’imbrication, de manière intersectionnelle, des catégories de bénévoles, de donateurs, d’expatriés, de réfugiés et des assignations socio-ethniques en jeu.
Comment les initiatives lancées par les réfugiés en exil s’inscrivent-elles dans l’écosystème de la gouvernance humanitaire en Jordanie ? Quelles relations ont-elles avec les acteurs qui composent la « nébuleuse du système des réfugiés » (Baujard, 2008) ? Quelle part d’autonomie traduisent-elles dans un contexte de contraintes multiples ?
Description du terrain de recherche et de la méthode d’investigation
À partir d’une recherche-action, ce projet de recherche conjugue à la fois des entretiens semi-directifs et des participations observantes et ethnographiques. D’une part, les entretiens semi-directifs avec les réfugiés permettent de sonder les perceptions du système de l’aide humanitaire. Il s’agit aussi de ne pas les cantonner à leur rôle de « bénéficiaires », mais de les appréhender aussi comme des acteurs autonomes et pourvoyeurs de l’aide. De ce fait, les entretiens prêtent une attention toute particulière aux multiples sens et significations qu’accordent les réfugiés à leur engagement. En outre, cette recherche montre comment les initiatives des réfugiés font entrer en synergie différents groupes ethnico-sociaux. Ainsi, des entretiens sont aussi conduits avec les bénévoles jordaniens et occidentaux afin de comprendre le sens qu’ils octroient à leur engagement humanitaire et plus particulièrement pour des initiatives gérées par des réfugiés.
Les intérêts scientifiques de la recherche et pour les acteurs humanitaires et sociaux
Cette recherche permet de mettre en lumière les ponts possibles entre les acteurs institutionnels de l’humanitaire et les initiatives mises en place par les réfugiés dans les domaines de l’éducation et de la protection légale. Il essaye de cerner les pistes de financement possibles et les moyens de formalisation des initiatives gérées par les réfugiés. L’utilité de cette recherche est aussi de contribuer à la mise en visibilité des dynamiques communautaires et associatives des réfugiés auprès d’acteurs humanitaires et sociaux, qu’ils soient locaux ou internationaux.
Cette recherche s’inscrit dans l’anthropologie des migrations et qui permet de comprendre les migrations Sud-Sud, dans un contexte d’externalisation de l’asile et des frontières de « l’Europe-forteresse ». Aussi, elle permet de contribuer aux travaux sur l’agentivité des réfugiés, leur mode d’engagement et leur mobilisation pluriels au quotidien. De ce fait, elle propose une anthropologie et une ethnographie de l’aide par le « bas », à partir des initiatives menées par les réfugiés. Il contribue ainsi à un champ d’étude jusqu’ici encore peu abordé dans les études sur les migrations au Moyen-Orient.
Biographie
Solenn Al Majali est anthropologue, spécialiste des migrations forcées en Jordanie. Elle a réalisé une thèse, au laboratoire TELEMMe à l’université d’Aix-Marseille, sur les relations interethniques et les sociabilités urbaines dans un quartier multiculturel de la capitale jordanienne, Amman. Elle s’est principalement intéressée aux questions de racialisation des réfugiés d’origine africaine présents en Jordanie, notamment des réfugiés originaires de la Corne de l’Afrique (Soudan, Somalie et Yémen du côté de la péninsule arabique). En parallèle, elle effectue un stage au Sana’a Center for Strategic Studies (think-tank yéménite) pour comprendre les enjeux sociaux et migratoires du changement climatique dans le contexte du conflit au Yémen.