La crise de 2012 qui a frappé le Mali a généré de vastes mouvements de population dans les pays limitrophes. Le Burkina Faso, qui n’est pas traditionnellement un pays d’accueil, a vu arriver quelques 100 000 Maliens sur ses terres, immédiatement parqués dans vastes camps de réfugiés provisoires. Sadio Soukouna, post-doctorante à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne a décidé de retracer et analyser le parcours de ceux qui ont choisi d’échapper à l’enfermement et au sentiment de dépendance inhérent aux camps.

Votre étude s’intéresse à la trajectoire de vie des réfugiés maliens au Burkina Faso. Sous quel angle avez-vous abordé ce sujet ?

Sadio Soukouna – Face à l’afflux massif de réfugiés au Burkina Faso, la méthode d’accueil préconisée a été la création de camps. Or, comme l’a exprimé l’une des personnes que j’ai rencontrée, on ne peut pas vivre dans les camps, juste survivre. Cette étude est portée par la conviction que survivre ne suffit pas et qu’il faut trouver des alternatives à l’encampement, vécu par certains réfugiés comme un emprisonnement. Mon étude s’intéresse donc aux stratégies des réfugiés qui ont choisi d’échapper aux camps et de trouver refuge dans les zones urbaines. Tandis que le HCR réfléchit d’abord aux conditions de leur retour, en organisant leur survie dans une logique temporaire, certains réfugiés ne se résignent pas à mettre leur vie entre parenthèses, dans l’attente d’une hypothétique fin de crise. Pour ceux-là, la solution passe par la ville.

De quels appuis les populations déplacées bénéficient-elles pour s’insérer dans les zones urbaines ?

Mon étude visait à analyser le rôle des différents acteurs susceptibles d’accompagner les réfugiés dans leur trajectoire de vie en zone urbaine : Etat, ONG, communautés, associations ou simples citoyens… Après enquête, il apparaît que les réseaux informels d’entraide communautaire sont les plus efficaces pour assurer l’accès des réfugiés à la ville. C’est notamment vrai pour les populations de langue tamasheq (touarègues) qui bénéficient de contacts implantés de longue date en ville, et d’une culture qui valorise l’accueil et l’entraide. Beaucoup moins pour les Peuls et les Dogons dont les réseaux familiaux ou communautaires sont moins développés, et qui vivent en ville dans une très grande précarité.

Lorsque j’ai réalisé un entretien avec un Touareg installé à Bobo Dioulasso depuis 2012, pas moins de sept réfugiés, tous touarègues, étaient en train de boire le thé et discuter. Avec un contact local, les réfugiés ont provisoirement un toit, une aide matérielle et des conseils précieux pour passer inaperçus. La plupart des réfugiés évoquent, en effet, la méfiance et le rejet des populations locales. Il y a une forte crainte des terroristes infiltrés et une stigmatisation des populations peules et touarègues. Face à cela, les réfugiés développent des stratégies de banalisation. Il s’agit de renoncer au turban, d’adopter les codes vestimentaires locaux, d’être propres, d’être calmes, de ne pas donner l’impression d’avoir peur.

L’intégration des réfugiés en ville semble, de plus, réservée à ceux qui bénéficient de ressources individuelles particulières. Qu’en est-il ?

Nombre de réfugiés rencontrés en zone urbaine présentent, en effet, la particularité d’avoir une grande habitude des voyages, du fait de leur activité professionnelle ou de leur réseau familial. La question de la mobilité joue un rôle crucial dans l’intégration urbaine. Choisir la ville, c’est fuir l’immobilisme des camps. Certains continuent de faire des allers et retours avec le Mali, la Mauritanie, le Niger… À cet égard, le statut de réfugié offre une protection juridique précieuse dans la mesure où il facilite la traversée des frontières.

Vivre en ville, pour un réfugié, c’est parfois aussi retourner vers les camps pour bénéficier des distributions. Celles-ci constituent une part importante de leurs ressources, d’autant qu’ils doivent payer des loyers pour se loger. Par rapport aux camps, la ville offre une certaine liberté, des opportunités, mais entraine aussi une plus grande précarité. C’est la limite de l’insertion des réfugiés en ville. Seuls ceux qui ont un certain capital social et économique sont capables d’en profiter. Par exemple, les artisans ont bénéficié d’une formation du HCR et d’un espace de vente en ville pour pouvoir prendre en main leur subsistance.

Des acteurs tels que les ONG ou l’Etat semblent totalement absents de la question de l’insertion urbaine des réfugiés. Comment expliquez-vous cela ?

L’Etat burkinabè délègue entièrement la gestion des réfugiés au HCR. Son rôle se limite à les maintenir à l’écart en poussant pour une centralisation maximale des camps autour des sites de Mentao et Goudoubo. Son objectif est d’éviter les tensions sociales et rendre les réfugiés invisibles. Cela fonctionne puisque j’ai rencontré des Burkinabès qui n’étaient pas au courant de la présence de réfugiés sur leur sol.

Les ONG et le HCR sont également confrontés aux tensions avec les populations locales. Les villageois qui vivent à proximité des camps veulent eux aussi bénéficier des distributions. Le camp de Sagniogo en périphérie de Ouagadougou a d’ailleurs été démantelé sur fond de tensions avec les populations locales. Jusqu’en 2015, les réfugiés qui se trouvaient en ville bénéficiaient des distributions. Mais celles-ci ont été interrompues pour les mêmes raisons. Intervenir auprès des réfugiés en ville paraît donc très délicat.

Dans ce contexte, quelles solutions pourraient permettre de favoriser l’insertion urbaine des réfugiés ?

L’enjeu principal est de trouver des alternatives à l’enfermement des réfugiés, de favoriser leur autonomie et de les aider à s’installer et construire quelque chose. L’insertion urbaine n’est qu’une solution, et qui présente de nombreuses difficultés. Pour faciliter les choses, les ONG doivent éviter d’entraver les allers et retours des réfugiés vers la ville, et de rompre les liens avec ceux qui ont choisi de s’installer en zone urbaine. Mais le HCR développe aussi une stratégie intéressante de « villagisation » des camps. Il s’agit de construire des installations durables, d’ouvrir le camp aux populations des villages voisins, de les faire bénéficier de l’aide, de créer des échanges et de l’activité sur le camp. Toutes les initiatives qui évitent d’enfermer les réfugiés ou de les plonger dans une situation de dépendance doivent être soutenues.