Le projet de recherche

Le rôle des acteurs de l’ESS auprès des femmes migrantes en situation de précarité socio-légale : les défis genres de l’insertion sociale en Île-de-France

Ma recherche s’intéresse spécifiquement aux défis que rencontrent les femmes en situation irrégulière ou demandeuses d’asile à leur arrivée en France et interroge les effets genrés des dispositifs d’accueil existants (ou bien de leur absence)

 

Penser la condition d’accueil des migrants

Cette mobilisation des acteurs de l’économie sociale et solidaire témoigne du rôle croissant que ces organisations sont amenées à jouer dans l’accueil des populations récemment arrivées, de l’aide alimentaire, à l’accompagnement dans les démarches administratives, en passant par de multiples initiatives visant à faciliter l’insertion sociale des exilés. Si les arrivées de l’été 2015 ont été décrites de manière récurrente dans les médias européens comme une « crise migratoire », de nombreuses recherches questionnent la notion de « crise » en soulignant le nombre limité de ces arrivées une fois rapportées à la population totale, à d’autres migrations historiques, ou encore au nombre de personnes réfugiées dans les pays voisins du Moyen-Orient.

Cinq années après ce que les médias ont dépeint comme une crise des réfugiés et les associations comme une crise de l’accueil, les conditions se sont encore dégradées pour les personnes migrantes. A l’été 2015, les camps étaient dans Paris, éparpillés mais visibles, entraînant une spirale de démantèlements successifs mais aussi de solidarité associatives et citoyennes. Cinq années plus tard, le constat des associations est unanime : les personnes exilées sont invisibilisées mais les conditions d’accueil sont encore plus difficiles. Les femmes sont en première ligne de ce non-accueil : le manque d’hébergement et de ressources pour s’alimenter rend les personnes vulnérables et cette vulnérabilité comprend un risque de violences sexuelles et de genre particulièrement aigu pour les femmes exilées.

Le travail de terrain face à la vulnérabilité

Cet article s’appuie sur un travail de terrain mené entre octobre 2019 et novembre 2020 auprès des acteurs associatifs engagés auprès des personnes exilées en Ile-de-France. L’enquête comprend 16 entretiens semi-directifs avec les acteurs associatifs, des observations participantes réalisées sur une période de 6 semaines au sein d’un centre d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM), ainsi que 14 entretiens avec des femmes hébergées dans ce centre. Le choix d’une méthodologie qualitative visait à recueillir la parole des premières concernées, les femmes exilées, afin de mieux saisir les déterminants sociaux de la violence de genre. S’il n’y a pas de difficultés logistiques propre au contexte du terrain, il s’agit néanmoins d’un travail d’enquête délicat en ce que les femmes rencontrées pour cette recherche se trouvaient dans des situations présentant de multiples formes de précarité et vulnérabilité.

Le rôle des acteurs de l’ESS dans la prise en charge des femmes migrantes 

Cette recherche a permis de mettre en avant que la réduction du risque de violences sexuelles pour les femmes exilées suppose une amélioration significative des conditions de prise en charge en créant des places d’hébergement adaptées aux besoins de ces femmes. Victimes de violences, ces femmes sont aussi actrices de leur parcours et une écoute bienveillante par les acteurs institutionnels de l’asile, reconnaissant les violences faites aux femmes comme des violences politiques méritant protection, constitue le second axe majeur d’une potentielle amélioration des expériences vécues par les femmes exilées.

Les acteurs de l’économie sociale et solidaire sont amenés à jouer un rôle déterminant dans l’accompagnement social, médical et juridique des femmes primo-arrivantes. Ces acteurs partagent le constat d’une détérioration significative des conditions d’accueil sur les dernières années, avec une exposition croissante des femmes à des situations de rue même lorsqu’elles sont enceintes ou accompagnées d’enfants en bas âge. La multiplication des acteurs associatifs dans ce champ vise à répondre à ces enjeux, avec la création de nombreuses nouvelles structures après 2015. Ces nouvelles organisations évoquent néanmoins des difficultés de financement, illustrant un manque de reconnaissance de leur rôle dans les politiques d’accueil.

Contribuer à la recherche sur les questions de genre dans le processus de migration

Ces questionnements visent à apporter des éclairages croisés autour d’une problématique encore insuffisamment recherchée, celle des violences de genre subies pendant le parcours et à l’arrivée en France et de leur prise en charge par les acteurs de l’ESS. En effet, le caractère systématique de ces violences, dont ont témoigné de nombreux acteurs associatifs rencontrés pendant la première phase de la recherche, est exacerbé par un accès précaire à un hébergement et un accès aux soins discontinu et aléatoire. Ces violences engendrent par ailleurs des traumatismes psychologiques qui peuvent aggraver la précarité sociale des personnes et rendre d’autant plus difficiles les parcours d’insertion.

Biographie

Nina SAHRAOUI mène actuellement le projet de recherche Marie Sklodowska-Curie CYBERGEN, au GTM-CRESPPA (CNRS). Nina a été soutenue par la Fondation Croix Rouge française en 2020 pour le projet « Le rôle des acteurs de l’ESS auprès des femmes migrantes en situation de précarité socio-légale : les défis genrés de l’insertion sociale en Ile-de-France ». Ses thèmes de recherche s’inscrivent au croisement de la sociologie des migrations, du genre et de la santé. Ses publications récentes incluent les ouvrages Racialised Care Workers and European Older-Age Care (Palgrave, 2019) et Borders across Healthcare (Berghahn Books, 2020), ainsi que des articles dans les revues Journal of Ethnic and Migration Studies, Society and Space et Social Policy and Society.

Crédit photo : @Gerogiea-Trimspoti-IFRC