La Fondation vient tout juste de fêter 10 ans d’engagement pour la recherche humanitaire et sociale. Pourquoi était-il si important pour vous de marquer cette année 2023 et que retenez-vous de cette année riche en évènements ?

Virginie Troit : Dix ans, c’est un cap, le moment de regarder le chemin parcouru. La rédaction de l’ouvrage Essentiel des 10 ans nous en a donné l’opportunité. L’ouvrage met en valeur la diversité des thématiques abordées, mais aussi la cohérence de notre approche. Au cours de cette décennie, nos objectifs se sont affirmés : assurer concrètement le lien recherche-société, accompagner l’action de terrain et contribuer à l’émergence de solutions durables, parfois très simples et peu couteuses. Pour y parvenir, il est indispensable de mobiliser un large écosystème, composé de chercheurs, d’opérationnels, de bailleurs, de décideurs, de leaders d’opinion…

À cet égard, l’évènement le plus marquant de cette année est, sans doute, l’édition des 10 ans de la Conférence internationale de la Fondation Croix-Rouge française qui s’est tenue le 26 octobre à Science Po Paris. Cette journée a accueilli 34 intervenants, représentant une dizaine de disciplines de sciences humaines, des responsables humanitaires et des étudiants. Elle a été suivie par plus de 600 personnes, sur place ou à distance, issues de 19 pays. Une magnifique mobilisation qui a, comme chaque année, permis à des chercheurs et des praticiens de plusieurs continents de se rencontrer et d’échanger.

Pourquoi ce dialogue entre monde académique et opérationnel est-il essentiel et comment la Fondation y joue-t-elle un rôle si particulier ?

VT : Dès les prémices de la Fondation, nous avons cherché à être une passerelle entre les mondes académique et opérationnel. La recherche doit nourrir les pratiques. Les pratiques doivent nourrir la recherche. Pour que la recherche soit utile, il faut qu’elle soit ancrée dans le réel et que ses idées se diffusent. Nous n’avons eu de cesse d’imaginer de nouveaux formats pour favoriser l’appropriation des travaux de recherche par les opérationnels, le chainon souvent manquant mais indispensable pour rendre les organisations apprenantes par le bas. Dernière initiative développée avec des chercheurs en sciences humaines : la méthode-pilote APRIS (Ateliers post-recherche Innovation sociale), des moments clés où les chercheurs présentent leurs travaux aux opérationnels pour que s’élaborent des solutions concrètes et ancrées dans le réel. Depuis plusieurs années, nos publications Pratiques & humanités fournissent une version synthétique et opérationnelle des travaux de nos chercheurs. Bénévo’Lab, en donnant l’initiative des sujets de recherche aux volontaires Croix-Rouge partout sur les territoires, renforce le principe de co-construction des solutions. Sans parler des webinaires et des podcasts de plus en plus suivis par les acteurs de l’action sociale et humanitaire, à commencer par ceux du Mouvement Croix-Rouge.

Le Président Da Costa disait, en ouverture de cette année spéciale, que « fêter ces dix ans, c’est aussi l’occasion de poursuivre et amplifier cette remarquable dynamique ». Comment voyez-vous évoluer la mission de la Fondation au cours des prochaines années et quels sont les défis qu’elle devra relever ?

VT : Les organisations de la société civile ne peuvent se passer d’une coopération durable avec les chercheurs tant leurs défis vont grandir en complexité et en volume. Il nous revient donc, en premier lieu, de continuer d’œuvrer au rapprochement de ces mondes académique et opérationnel. Ensuite, l’enjeu de la « localisation de l’aide » s’est imposé à nos agendas. Il s’agit de promouvoir une aide « aussi locale que possible, et aussi internationale que nécessaire ». La réflexion est valable pour la recherche également, et nous invite à renforcer plus concrètement la participation et l’inclusion des chercheurs de tous les continents, notamment des pays les plus affectés par les crises. Enfin, nous devons, sans relâche, nous efforcer de convaincre les financeurs privés et publics que l’efficacité et l’impact des opérations humanitaires et sociales sont aussi fonction de la vitalité de la recherche et de l’innovation. Consacrer plus de budget aux projets co-construits entre chercheurs, organisations de la société civile et décideurs ne peut que contribuer à une meilleure utilisation des ressources et à une approche plus éthique des personnes accompagnées.

Crédit photos : Bad Taste Bros.