Questions à… Sandrine Revet.

Sandrine Revet, docteure en anthropologie, directrice de recherche au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris, récompensée par un prix de recherche de la Fondation en 2019, s’est livrée, avec pédagogie et précision, à un tour d’horizon des débats et réflexions qui traversent la gestion des catastrophes « naturelles » depuis la prévention jusqu’à la reconstruction. 

Sandrine Revet, lors de la remise de son prix de recherche par la Fondation en 2019
Qu’est-ce qu’une catastrophe dite naturelle, et est-ce que ce terme fait consensus ?

Sandrine Revet : Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire qu’aucune catastrophe n’est véritablement naturelle. L’évènement climatique ou géologique devient une catastrophe quand les humains qui se trouvent sur son chemin en sont affectés. Au milieu de l’océan, un ouragan n’est qu’un ouragan. S’il touche les côtes habitées, il devient une catastrophe quand les bâtiments sont fragiles, les services d’eau défaillants, ou les populations installées dans des zones inondables… Bien sûr, le phénomène est d’origine naturelle, par opposition aux catastrophes sanitaires, ou industrielles… Mais la catastrophe est surtout le produit de vulnérabilités.

Toute la difficulté est donc d’identifier les vulnérabilités…

SR : En effet, s’il y a consensus sur l’idée qu’il faut réduire les facteurs de vulnérabilité, les avis divergent quant à leur origine. Dans les années 1980 ou 1990, on s’intéressait surtout aux vulnérabilités physiques et aux réponses techniques : renforcer les digues, monter des murs contre les tsunamis… On s’est rendu compte que les vulnérabilités trouvaient aussi leur origine dans les infrastructures – eau, électricité, santé – l’organisation de la société, les politiques publiques… Par exemple, la dépendance aux importations alimentaires augmente le risque quand les voies de communication sont détruites. La crise sanitaire que nous vivons actuellement a mis en lumière la question de la souveraineté sur un certain nombre de produits. Lors de l’ouragan Katrina, aux États-Unis, une partie de la population, la plus défavorisée, n’a pu évacuer les lieux malgré les alertes, faute de moyens de transport. Les inégalités sociales peuvent être un facteur de vulnérabilité. Du côté des pays plus pauvres, la question des vulnérabilités ramène immanquablement à des problèmes plus profonds de développement.

Beaucoup d’ONG développent des campagnes de prévention et d’information pour développer la résilience des populations face à la crise. Est-ce une voie intéressante ?

SR : La résilience est la capacité à faire face à un choc et à se remettre sur pied après la crise. En somme, le contraire de la vulnérabilité… La notion est très répandue chez les ONG et les bailleurs de fonds. Lorsque les ONG sensibilisent les populations au risque, diffusent les bonnes pratiques, distribuent des kits d’urgence ou encouragent la solidarité entre voisins, elles sont dans leur rôle. Mais beaucoup de chercheurs déplorent que la notion de résilience soit utilisée pour reporter la charge de la réponse à la crise sur les épaules des communautés, des quartiers ou des individus. Il ne faudrait pas que la résilience serve à exonérer l’action publique de ses responsabilités !

Lors des catastrophes les plus graves, l’organisation des secours se fait souvent au niveau international, avec des outils et des méthodes standardisés, qui font parfois fi du contexte local. Qu’en pensez-vous ?

SR : La standardisation des outils et des méthodes est la condition pour pouvoir agir en commun sur des terrains où de nombreux acteurs internationaux interviennent. Il s’agit d’éviter les doublons, la désorganisation ou les incohérences. Il en résulte des guides de bonnes pratiques et des kits que l’on tente de mettre en place. Évidemment, cela peut poser des problèmes d’adaptation au contexte local. Au nom de l’efficacité, on peut en arriver à passer outre les pouvoirs locaux jugés trop lents, ignorer les partenaires suspectés de clientélisme, ou négliger les usages des populations… Dans l’urgence de la crise, certains modes d’intervention qui sont tolérés pour sauver des vies ne le seront plus par la suite dans un projet de reconstruction à long terme. Comme pour l’humanitaire en général, l’enjeu est de de ne pas causer plus de problèmes qu’on en résout. Au nom de l’urgence, certaines choses sont mal appréhendées. Par exemple : pour éviter les épidémies, on enterre les morts dans des fosses communes, on entrave les rituels, on perturbe le deuil. Cela peut provoquer du ressentiment, de la méfiance et du rejet dans les populations… donc de nouveaux facteurs de vulnérabilité.

Comment la recherche peut-elle être utile pour accompagner la gestion des catastrophes ?

SR : La question de l’utilité ne doit pas nécessairement être posée aux chercheurs. Ce qui ne veut pas dire que la recherche ne doit pas se soucier du terrain. Au contraire, les acteurs de terrain sont à la source de nos travaux, par leurs intuitions, leurs vécus, leurs expériences que nous écoutons et collectons. Confrontés à l’urgence et la nécessité d’agir vite, ils n’ont pas toujours le loisir d’interroger leurs pratiques. Plutôt que de nous limiter à répondre à leurs questions, nous devons éclairer l’action de terrain avec un regard nouveau, enrichi, décalé… Aussi, je ne crois pas que notre rôle soit de proposer des solutions clés en main. En revanche, il est de notre responsabilité de faciliter l’accès à nos travaux, peut-être avec de nouveaux formats, comme nous le faisons en ce moment.