La Fondation Croix-Rouge française a consacré la 10e édition de sa « Pause-Culture-Recherche » à la bande dessinée. Trois auteurs dont le travail illustre le pont entre le 9e art et les causes humanitaires nous ont rejoints pour l’occasion : Kek, Nicolas Wild et Catherine Monnot-Berranger. Devant un public attentif et engageant, chacun est revenu sur son parcours, son processus créatif et la manière dont les expériences humanitaires nourrissent ses récits dessinés.
Kek a ouvert la rencontre en racontant comment son engagement bénévole aux Restos du Cœur a inspiré son album Un coin d’humanité. Il a découvert l’association par hasard, à l’invitation d’un collègue, puis a décidé de continuer à s’investir, motivé par l’envie de « se rendre utile » et par les liens forts tissés avec les bénéficiaires et les bénévoles, devenus pour lui une véritable « famille ». L’inspiration d’en faire une BD lui est venue pendant le confinement, sur des planches qu’il a d’abord diffusées sur les réseaux sociaux. Elles ont ensuite pris la forme d’une bande dessinée dont l’intégralité des bénéfices est reversée aux Restos du cœur. L’auteur a insisté sur l’importance de représenter les bénéficiaires avec justesse et dignité, en protégeant leur identité et en évitant les clichés. À travers une enquête quasi journalistique et son propre vécu, il a souhaité rendre compte de la diversité des parcours et montrer que la lecture de sa BD a parfois suscité chez d’autres l’envie de s’engager à leur tour.
Nicolas Wild a, lui, partagé son immersion de cinq ans à la Maison des femmes, alors que le projet initial ne devait durer qu’une semaine. Dans ce lieu d’accueil de femmes en situation d’exil, il a d’abord adopté une posture discrète, avant de trouver peu à peu sa place. Son travail s’articule autour de récits imbriqués : l’histoire du lieu et celles des femmes qu’il y a rencontrées. Il s’est attaché à représenter uniquement les personnes qui l’y autorisaient, tout en réinventant parfois l’apparence de leurs proches. Il a également insisté sur l’usage thérapeutique que certaines militantes et survivantes font de ses planches, en les utilisant pour témoigner et sensibiliser. Cette expérience a profondément marqué son approche, au point qu’il veille désormais à une parité dans ses œuvres et que la question du regard masculin dans un univers féminin irrigue sa réflexion artistique.
Enfin, Catherine Monnot-Berranger, anthropologue, a présenté son ouvrage L’appel des bouts du monde. Une vie d’humanitaire. Elle est revenue sur sa démarche biographique consacrée à son amie Joëlle, infirmière puis cadre humanitaire au parcours exceptionnel. Elle a voulu rompre avec la prédominance des récits masculins en valorisant l’histoire d’une femme de terrain, tout en évitant l’écueil de l’héroïsation. Avec son dessinateur, elle a recherché un équilibre entre poésie et rigueur, pour restituer la force d’une vie sans gommer ses contradictions. Elle a souligné la difficulté de représenter graphiquement les expériences traumatisantes et a rappelé l’évolution du métier humanitaire : aujourd’hui plus « bunkerisé », mais permettant d’atteindre un nombre croissant de bénéficiaires. Le travail d’archives iconographiques, notamment au Kurdistan iranien, a complété cette démarche de mémoire, inscrivant son projet dans une transmission intergénérationnelle.
À travers ces trois témoignages, cette Pause-Culture-Recherche a mis en lumière la bande dessinée comme vecteur de sensibilisation et de mémoire. Qu’il s’agisse de rendre visible l’engagement, de partager des histoires peu racontées ou de préserver la mémoire d’une génération d’humanitaires, le 9e art est un médium précieux pour la transmission de ces récits.
Retrouvez ci dessous les précédentes éditions de nos Pauses-Culture-Recherche :
- Juillet 2025 « Les relations entre le secteur universitaire et les organisations humanitaires : une perspective américaine » avec Virginie Troit
- Mars 2025 « J’étais du Bataillon des enfants perdus » avec Boris Martin
- Juin 2024 « 1919 : le tournant santé publique et le début de l’expansion formidable de la Croix-Rouge » avec Romain Fathi