Le district d’Ambovombe-Androy est fortement marqué par les aléas climatiques et l’insécurité alimentaire. Situé dans le sud de Madagascar, il offre également l’exemple d’une société traditionnelle très ancrée dans la vie des populations, qui codifie les comportements et les rapports sociaux. C’est ce contexte qu’a choisi Tantely Andrianantoandro pour étudier les conditions qui permettraient d’améliorer l’accès aux services de santé des femmes enceintes et de leurs enfants.

 
Pouvez-nous présenter le contexte et les enjeux de votre étude ?

Tantely Andrianantoandro – Cette recherche-action avait pour but d’étudier les éléments qui font progresser l’utilisation des services de santé, tout particulièrement pour les femmes enceintes et leurs enfants. L’étude s’est déroulée dans la région d’Ambovombe-Androy, dans le sud de Madagascar qui est soumise, de manière constante, aux aléas climatiques et à la disette. La présence des ONG humanitaires y est quasi permanente. Celles-ci financent des actions et fournissent des médicaments, des compléments alimentaires ainsi que des kits de soins aux femmes enceintes qui sont délivrés par les Centres de santé de base (CSB), gérés par l’administration malgache. Cependant, dans un contexte où la survie même des populations est menacée, les besoins fondamentaux tels que la santé ou l’éducation paraissent secondaires. Certains services de santé n’atteignent pas les populations.Tout l’enjeu de l’étude est de comprendre les réticences des populations, et les obstacles qu’elles perçoivent dans l’accès aux soins, pour tenter d’y apporter des solutions concrètes.

 

Votre étude porte notamment sur l’accès aux soins de la femme enceinte et de son nouveau né. Quels sont les résultats de vos observations ?

TA – Premièrement, le taux de recours à la consultation prénatale est très élevé. Plus de huit femmes enceintes sur dix s’y rendent. Un chiffre en forte progression depuis 2015. Pourquoi ? La consultation est gratuite, le déplacement peut être facilement programmé, et les kits fournis aux patientes sont jugés utiles et attrayants. Ceux-ci contiennent notamment des moustiquaires et des médicaments comme des vermifuges et des vaccins. En revanche, pour l’accouchement, une majorité de femmes restent chez elles ou se rendent chez la matrone du village. En cause, bien sûr, l’éloignement des centres de santé et l’impossibilité de prédire précisément la date de l’accouchement. Mais rendre l’accouchement gratuit et le kit fourni aux femmes plus incitatif permettrait sans doute d’augmenter ce taux.

 

Avez-vous constaté une forme de concurrence entre les matrones du village et les sages-femmes du centre de santé, ou plus généralement entre médecine traditionnelle et médecine moderne ?

TA – Il est incontestable que les comportements des habitants de l’Androy en matière de santé sont très marqués par la tradition. On pratique beaucoup l’automédication. Pour des maladies ou incidents connus, les gens se tournent vers le praticien traditionnel. Vous ne verrez jamais quelqu’un se rendre au Centre de soins de base (CSB) pour une fracture. Il en va de même lorsqu’une personne est prise de convulsions, puisqu’on considère que le trouble a une origine céleste. Le CSB est plutôt un lieu que l’on fréquente en dernier recours, dans les cas graves ou lorsque la situation ne s’améliore pas. Cependant, il serait faux de dire qu’il y a un rejet de la médecine moderne et du CSB. Lorsque les ONG ont recruté des agents communautaires pour faire un travail de sensibilisation et de prévention auprès des populations, les résultats ont été satisfaisants. Les taux de vaccination montrent que ces actions portent leurs fruits. La pratique de la consultation prénatale est même plus importante dans les zones rurales, plus traditionnelles. Plutôt que des concurrentes, les matrones pourraient être des partenaires des centres de santé.

 

À l’issue de votre étude, quelles sont les pistes de réflexion qui émergent pour améliorer l’accès aux soins ?

TA – Premièrement, le coût de l’accouchement est un frein évident qui vient s’ajouter à la distance et à l’impossibilité de prédire la date. La gratuité permettrait d’augmenter la fréquentation du CSB. Ensuite, l’amélioration des kits distribués aux femmes ayant accouché aurait un impact certain sur la fréquentation des consultations néonatales. La distribution de médicaments contre le sovoka, l’infection potentiellement mortelle qui touche les femmes ayant accouché, aurait un effet très incitatif. Les femmes ont pleinement conscience de ce risque.

Enfin, l’étude montre que les pratiques traditionnelles ne sont pas un obstacle à la médecine moderne. Au contraire, les agents communautaires ont eu un rôle positif dans les campagnes de vaccination. Pourtant, le monde médical regarde les matrones avec une certaine condescendance. C’est sans doute de ce côté-là qu’il y a un rejet. Nous pensons qu’il faudrait valoriser le rôle des matrones, plutôt que de nier leur importance. Ainsi, pourrait-on les recruter pour les campagnes de sensibilisation de façon à les impliquer dans le recours aux soins médicalisés. Du point de vue des femmes enceintes, il serait plus facile d’aller au CSB accompagnées d’une femme en qui elles ont confiance. On pourrait valoriser les matrones en leur confiant des tâches non médicales comme le nettoyage du matériel. La médecine moderne a tout intérêt à collaborer avec les matrones. Il y a une vraie complémentarité à développer car ce sont elles qui sont les plus aptes à faire circuler l’information.

© IRD