Le mardi 4 octobre 2022, la Fondation Croix-Rouge française organisait la 3e édition de ses Rencontres annuelles pour la recherche humanitaire et sociale. Ces rencontres, organisées cette année au Centre de colloques du Campus Condorcet, en partenariat avec l’EHESS, ont rassemblé près de 100 personnes en présentiel et en distanciel de 20 pays différents, parmi lesquelles des scientifiques, des praticiens de l’action sociale et de la solidarité internationale, des journalistes, des étudiants, des responsables d’ONG, des acteurs du Mouvement Croix-Rouge.
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Diffuser les savoirs créés
Cette journée était l’occasion en premier lieu de présenter les résultats des travaux des six chercheurs soutenus et accompagnés par la Fondation entre 2020 et 2022. Les six lauréats ont exposé les grandes lignes de leurs recherches avant de les mettre en perspective et de les soumettre au débat, au cours de trois tables rondes thématiques, rassemblant scientifiques et opérationnels. Conformément à l’engagement de la Fondation de diffuser les savoirs, la journée avait pour objectif de permettre la rencontre et le dialogue entre les différents acteurs des champs humanitaire et social et de favoriser un échange libre et ouvert sur les savoirs et les pratiques.
Dans son discours inaugural, M. Christophe Prochasson, Président de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), a témoigné de son enthousiasme pour cette collaboration qui s’inscrit dans la lignée des recherches soutenues par l’EHESS sur des thématiques humanitaires. La question des enjeux et de la pertinence de la recherche en sciences humaines et sociales a aussi été soulignée par M. Philippe Da Costa, Président de la Croix-Rouge française et de la Fondation.
La question du lien social débattue au cours de trois tables rondes
Les travaux scientifiques menés par les lauréats des bourses de la Fondation ont apporté ces deux dernières années un éclairage particulier sur le lien social.
Thème 1 : L’action humanitaire au défi du maintien du lien social
Si la crise sanitaire et les confinements liés à la pandémie de Covid-19 ont récemment mis au jour l’importance du lien social, agir pour le maintenir ou lutter contre les conséquences d’un lien social défectueux ou défaillant n’est pas souvent un domaine d’intervention priorisé par les acteurs humanitaires ou sociaux. Or, le lien social peut pourtant être un levier ou un rempart efficace a beaucoup de problèmes sociaux ou sanitaires. Et inversement, les conséquences d’un lien social défectueux ou défaillant, telles que les situations d’isolement par exemple, peuvent être à l’origine de problèmes sanitaires ou de la pauvreté. Mais qu’est-ce que le lien social ? Peut-on agir dessus, en créer ou en recréer ? Si oui, comment ? Qu’il s’agisse du repérage des personnes socialement isolées, ou des initiatives destinées à créer ou recréer du lien social, que sait-on des conditions du succès de telles actions ? Quel rôle possible pour les praticiens de l’action sociale ou de la solidarité internationale dans cette action ?
Le débat sur ce thème s’est engagé à partir des travaux de :
- M. Louis Braverman, docteur en sociologie, Université de Bretagne Occidentale : « L’EHPAD « hors les murs » : un modèle innovant d’accompagnement à domicile face aux défis de la lutte contre l’isolement » (lire le Papier de M. Braverman)
- M. François-Xavier Schweyer, sociologue, École des hautes études en santé publique (EHESP) : « Croix-Rouge Chez Vous : un nouveau dispositif de solidarité en temps de crise. Bénévoles, expériences d’écoute, appropriations locales. » (lire le rapport de l’article de M. Schweyer sur le site du CNLE )
M. Braverman a abordé la singularité du dispositif « vivre@lamaison », un dispositif renforcé de soutien à domicile (DRAD) mis en place par la Croix-Rouge française et l’intérêt d’offrir une solution alternative au tout domicile et au tout EHPAD pour soutenir l’ancrage des personnes âgées dans leur environnement. M. Schweyer a quant à lui relaté le déploiement en urgence du dispositif « Croix-Rouge chez vous » lors du premier confinement.
Les deux chercheurs ont rejoint la table-ronde modérée par Mme Viviane Châtel, maître d’enseignement et de recherche à la Chaire francophone de travail social et politiques sociales de l’Université de Fribourg (CH), sur le thème suivant : « L’action humanitaire au défi du lien social ». Le débat a également été nourri par Mme Isabelle Aokou, en charge du Programme « Club des mères » et Point Focal Genre à la Croix-Rouge togolaise, qui a rappelé l’importance vitale du maintien du lien social dans les sociétés africaines. Mme Flavia Stea Antonini, Directrice de la direction technique « Protection & Réduction des Risques chez Handicap International » a pour sa part insisté sur les mutations dans les modalités de production ou de préservation du lien social au sein de Handicap International depuis les années 1980.
Thème 2 : le lien social à l’épreuve de l’expérience migratoire
La deuxième table ronde a permis de poursuivre les échanges de la première sur les challenges de l’action humanitaire destinée à maintenir le lien social ou à lutter contre les conséquences d’un lien social défectueux ou défaillant en abordant un cas précis, celui de la situation des exilés. Pourquoi la prise en compte de cette dimension dans les actions conduites à l’attention des exilés est-elle particulièrement importante pour ces populations en déplacement ? Quel est l’enjeu pour ces populations ? Comment agir sur le lien social des exilés, entre eux, vis-à-vis de leur population d’origine, et de la population d’accueil ?
Cette thématique a été introduite par les présentations de :
- Mme Florence Ihaddadène, docteur et enseignant-chercheur en histoire de la santé, rattaché au Centre de recherche sur l’histoire des peuples des savanes d’Afrique (CRESHA) : « Des volontaires solidaires : le service civique par et pour les réfugiés » (lire le Papier de Mme Ihaddadène)
- M. Emmanuel Niyonsaba, docteur en sociologie (Université du Havre Normandie, 2018) : « Usages des TIC par les immigrés âgés en situation de vulnérabilité relationnelle : vers un usage accru en soutien du lien social à distance et du bien-être ? » (lire le P&H de M. Niyonsaba)
Mme Ihaddadène a questionné les conditions de réussite du service civique par les réfugiés, la reproduction de la division genrée du travail et les effets de sélection induits par un tel dispositif. M. Niyonsaba a pour sa part développé l’importance du rôle joué par les TIC (technologies de l’information et de la communication) dans le maintien du lien social chez les personnes âgées migrantes tout en précisant que les TIC ne doivent pas constituer un substitut aux interactions humaines.
La deuxième table ronde, modérée par Mme Estelle d’Halluin, maître de conférences à l’UFR de sociologie de l’Université de Nantes, autour du thème suivant « Le lien social à l’épreuve de l’expérience migratoire » a permis de mettre leurs travaux en perspective. Leurs conclusions ont suscité un débat animé au sein d’un panel rassemblant Paul Alauzy, chargé de projet veille sanitaire chez Médecin du Monde et Mme Barbara Joannon, chargée des relations extérieures du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Paris. Ces derniers ont rappelé l’importance que leurs organisations respectives accordaient à la construction de programmes pour et avec les personnes migrantes destinés à construire ou reconstruire du lien social.
Thème 3 : L’engagement bénévole vecteur de lien social
La dernière table ronde a abordé l’autre aspect important du lien entre action humanitaire et lien social : l’engagement des volontaires lui-même est vecteur de lien social pour eux, et cela peut même être une source de motivation à l’origine de leur engagement. Récemment, la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a vu un grand nombre de personnes s’engager dans des associations, notamment durant les confinements, confirmant, à l’instar d’autres crises, tout le bien-être social que l’engagement bénévole peut apporter. Comment est-ce que l’importance de cet aspect de l’engagement bénévole évolue dans le temps et diffère selon les pays ? Comment les acteurs humanitaires tiennent-ils compte de cette attente à l’origine de l’engagement des volontaires ?
Cette dernière thématique a été lancée par deux présentations :
- Mme Bénédicte Bonzi, anthropologue : « Pourquoi et pour quoi s’engager ? Délier, lier et relier » (lire le Papier de Mme Bonzi)
- Mme Annabelle Jaccard, psychologue clinicienne et docteure en psychopathologie et psychanalyse : « L’impact psychosocial de la crise sanitaire de la covid-19 sur les volontaires du croissant-rouge aux Comores : quelle place à l’accompagnement psychique et la prise en charge de la santé mentale ? » (lire le P&H de Mme Annabelle Jaccard)
Mme Bonzi a exposé ses travaux sur les causes de l’engagement et du désengagement des bénévoles dans un contexte de restructuration des dispositifs de politiques publiques, tandis que Mme Jaccard a relaté les expériences de rejet et d’incompréhension auxquels ont dû faire face les volontaires du croissant-rouge aux Comores durant la crise sanitaire de la covid-19.
La place des représentations de soi des bénévoles dans leur engagement, qu’elles ont mise en avant en présentant leurs conclusions, a par la suite été discutée au cours de la troisième table ronde, modérée par Mme Dan Ferrand-Bechmann, professeure émérite à l’Université Vincennes. La question de l’engagement bénévole comme vecteur de lien social a notamment été abordée par les panelistes M. Adjmal Dulloo, coordinateur mondial du volontariat à la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), et M. Hubert Pénicaud, référent « vie associative » de France Bénévolat. Les intervenants ont rappelé que l’engagement bénévole prenait des formes très variées selon les personnes et les zones géographiques.
À l’issue de ces trois tables rondes, la journée s’est poursuivie par la cérémonie de remise des prix de recherche 2022 de la Fondation.
Les mots de clôture de la journée ont été apportés par Mme Caroline Callard, vice-présidente « recherche » de l’EHESS, M. Michel Agier, anthropologue et directeur d’études à l’EHESS et Mme Françoise Fromageau, vice-présidente de la Fondation.
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