En cas de catastrophe naturelle, la culture du risque de la population, son degré de préparation, permettent de limiter fortement les conséquences dévastatrices qui s’ensuivent. Mais comment favoriser l’établissement d’une culture du risque ? C’est la question à laquelle tentent de répondre Yves Mazabraud, géologue, et Alexandra Renouard, sismologues, tous deux aussi spécialistes de l’enseignement des géosciences, rattachés respectivement à l’Université des Antilles, à Pointe-à-Pitre et à l’Université de Bretagne occidentale, à Brest. Leur recherche vise à renforcer la pertinence et l’efficacité des actions de sensibilisation aux risques naturels, dans le cadre d’un projet regroupant des chercheurs en géosciences et en sciences humaines et sociales.
Votre étude porte sur les conceptions liées aux risques naturels en Guadeloupe. Pourquoi ce sujet concerne-t-il la Guadeloupe ?
Yves Mazabraud : en Guadeloupe, les populations sont confrontées à un large éventail d’aléas naturels potentiellement dévastateurs. Des séismes et éruptions volcaniques ont fait d’énormes dégâts au cours des 200 dernières années. La dernière éruption de la Soufrière s’est produite en 1976. Moins spectaculaires, l’érosion côtière, les inondations et les cyclones constituent des menaces qui frappent plus fréquemment les populations. Ces risques sont d’autant plus préoccupants que de nombreux facteurs augmentent la vulnérabilité de la région : la faible qualité du bâti, la précarité des populations, des constructions dans des zones peu stables, l’insularité… Les populations ne sont pas toujours préparées à ces risques. Pourtant, la culture du risque est un des éléments clés pour réduire l’impact des catastrophes naturelles.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la culture du risque ?
YM : avoir une culture du risque, c’est avoir conscience d’un risque et l’anticiper. Par exemple, aux Antilles, la population connait et prend en compte le risque cyclonique, car il se rappelle à elle chaque année. On a des réserves d’eau, des groupes électrogènes bien positionnés. En cas de catastrophe, la population doit être en capacité de tenir plusieurs jours ! Dans les zones à forte activité sismique, certains comportements doivent devenir des réflexes, par exemple en rentrant dans un bâtiment, identifier les endroits les plus sûrs en cas de secousses : sous les encadrements de portes, sous les tables. Ou encore, adopter des mesures simples comme fixer les armoires au mur. Mais ces pratiques sont trop rarement adoptées. Ce type de demande est perçu comme une précaution superflue, pour faire face à un risque exotique. Du fait de la rareté des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre, la population n’a pas la culture de ces risques. Notre recherche vise à comprendre comment se forment les conceptions des risques naturels, et analyser les freins à l’émergence d’une véritable culture du risque.
Des campagnes de prévention ne sont-elles pas organisées pour alerter les populations ?
YM : des efforts de sensibilisation sont menés tous azimuts par les collectivités, l’Éducation nationale et des ONG comme la Croix-Rouge, notamment via la PIRAC (Plateforme d’intervention régionale en Amériques et aux Caraïbes). Or, on constate que la diffusion des connaissances ne suffit pas à établir une culture du risque. Malgré les campagnes de prévention, c’est comme si les informations transmises glissaient sans s’imprimer dans les consciences et les comportements. Par exemple, dans une classe, on demande aux enfants de dessiner une éruption volcanique. Puis, on analyse les conceptions, avant d’expliquer scientifiquement le phénomène. Si on teste à nouveau les représentations des enfants, on constate souvent que certaines conceptions antérieures demeurent. Un message clair et construit ne parvient pas seul à dissiper les idées préconçues bien ancrées. L’enjeu n’est donc pas d’évaluer les connaissances des populations et d’identifier les lacunes, mais plutôt de comprendre comment se fabriquent les conceptions, quels sont les facteurs favorisant ou freinant l’émergence d’une culture du risque.
Nos sujets de recherche et nos méthodes empruntent à la fois aux Sciences humaines et sociales et aux Sciences naturelles. Nous constituons des équipes pluridisciplinaires en fonction des thèmes.
Quelle méthode allez-vous mettre en œuvre pour comprendre ce mécanisme de fabrication des conceptions et en tirer des applications pratiques ?
YM : nous allons commencer par établir une cartographie sociale et géographique de la perception du risque. En d’autres termes, nous allons constituer un échantillon représentatif de la population, sur la base de critères socio-économiques, en fonction des zones d’habitation, urbaine, rurale, agricole… Puis, nous allons élaborer des questionnaires. Ceux-ci s’intéressent aux connaissances, à la perception du risque, mais aussi aux interactions que les personnes interrogées entretiennent avec leur famille, les anciens, la nature, la science, les livres, les croyances ou l’histoire… Ces questionnaires pourront être complétés par des entretiens. Il s’agit de décrire des profils d’individus et de définir pour chacun des leviers susceptibles de favoriser l’acquisition d’une culture du risque. Il ne s’agit pas de savoir ce qu’ils connaissent, mais de comprendre comment ils apprennent. Par exemple, on pourrait découvrir que les élèves qui ont une meilleure sensibilité à l’égard des événements géologiques sont ceux qui ont une plus grande proximité avec la nature, ou alors ceux pour lesquels la transmission culturelle via les grands-parents est la plus présente.
À partir du moment où vous savez comment la culture du risque s’imprègne ou quels sont les biais les plus faciles à corriger sur un public, vous donnez les moyens aux communicants d’élaborer des actions de sensibilisation ciblées et efficaces.
Photo du haut : ©IFRC
Photo au centre de la page : ©Yves Mazabraud