Jean-Pierre Turchini est vice-président de la Délégation territoriale Métropolitaine Aix Marseille Provence de la Croix-Rouge française. Il a accueilli et accompagné la recherche menée par les chercheures Emilie Mosnier et Olivia Nevissas sur l’impact de la crise du Covid sur les bénévoles. Il nous donne sa vision du sujet et son sentiment sur l’utilité de la recherche pour faire évoluer les pratiques.

Comment cette recherche a-t-elle été accueillie par la Croix-Rouge PACAC (Provence Alpes Côte d’Azur et Corse) et par ses bénévoles?

Jean-Pierre Turchini : nous accueillons toujours favorablement les regards neufs. Une recherche oblige à réfléchir, se poser des questions. Le thème de l’étude était déjà calé : il s’agissait d’évaluer l’impact sur les bénévoles de la crise du Covid, de comprendre comment ils réagissaient dans cette situation de danger, cette ambiance anxiogène. Nous avons très rapidement sollicité des personnes à interviewer, et Olivia Nevissas a pu commencer ses entretiens dès la première phase de confinement strict, avec des bénévoles actifs et d’autres qui avaient été contraints de s’arrêter. Les bénévoles ont bien compris la démarche. On leur demande déjà beaucoup de choses : rendre des comptes, faire des rapports… Ils se sont pliés très facilement à cet exercice.

La gestion des bénévoles présente-t-elle des difficultés, particulièrement en temps de crise?

JPT : je suis moi-même bénévole au sein de la Croix-Rouge depuis 1975… Je trouve que la gestion des bénévoles est plutôt facile. Il s’agit de donner envie. Dès le départ, le rapport aux autres et la motivation des bénévoles sont différents de ceux des salariés. On est là parce qu’on partage des valeurs et des idées, même si on sait que le bénévolat n’est jamais totalement gratuit. Tout le monde vient chercher quelque chose : une occupation, du lien social, de la reconnaissance…

Pour autant, la crise du Covid a mis en évidence plusieurs difficultés. D’une part, certains bénévoles ont eu peur, se sont sentis vulnérables et ne reviendront peut-être pas. D’autre part, nous avons reçu un afflux massif de nouveaux bénévoles durant le premier confinement, qui ne sont pas revenus ensuite, pour des raisons d’emploi du temps ou pour d’autres raisons. Mais ceux qui ont le plus souffert de la crise, ce sont sans doute les bénévoles de plus de 70 ans, qui ont été mis en retrait. La philosophie de la Croix-Rouge consiste à se préparer pour faire face aux crises. C’est comme si on leur avait enlevé ce pour quoi ils s’étaient préparés depuis si longtemps. Enfin, il y a une incertitude qui pèse sur les bénévoles dont l’activité a été mise en veille depuis 10 mois maintenant.

Par conséquent, la question de l’impact sur les bénévoles en action pendant la crise est très intéressante. Mais j’ai peur que l’effet Covid sur l’engagement bénévole se fasse sentir durablement, de manière encore plus forte et négative après la crise. Peut-être d’ailleurs qu’un prolongement de la recherche sur ce thème serait très utile.

Quels sont les premiers enseignements de la recherche et pensez-vous qu’ils puissent avoir un impact sur l’évolution des pratiques?

JPT : nous avons eu un rapport intermédiaire et une présentation sur les premières observations. En tant qu’homme de terrain, je suis pressé de lire les conclusions qui devraient être rendues au début de 2021. Le regard extérieur d’un spécialiste est toujours bienvenu, et les crises sont des tremplins pour apprendre et évoluer. Par exemple, après les interventions au Rwanda durant la crise de 1994, se sont mis en place du soutien psychologique et un accompagnement en retour de mission. Ces pratiques sont entrées dans les mœurs depuis. Avec le Covid, on voit aussi que les outils numériques se sont développés, notamment pour l’accueil et la formation des nouveaux bénévoles. C’est sans doute quelque chose qui va rester.

En ce qui concerne les changements dans l’organisation, ce n’est pas l’antenne régionale PACAC qui décide, mais plutôt la Croix-Rouge française. C’est donc à ce niveau que les conséquences pratiques seront tirées. Néanmoins, les recherches peuvent nous faire prendre conscience de certains problèmes, et nous faire adapter nos pratiques individuellement. Les situations d’urgence se reproduiront après le Covid. Par exemple, quand vous intervenez sur la vallée de la Roya qui a été dévastée par des torrents de boue, les conditions sont telles que vous ne pouvez pas emmener tout le monde. Il faut trouver un moyen de valoriser quand même les bénévoles qui ne partent pas et mieux prévenir ce sentiment d’être mis à l’écart. Ces recherches ont peut-être le mérite de mettre le doigt sur des choses qui sont sous nos yeux, mais qu’on ne peut pas voir quand on a la tête dans le guidon.

Photos : ©Croix-Rouge française