Faire face aux catastrophes naturelles et, notamment, aux inondations, c’est lutter contre les vulnérabilités des populations et travailler à renforcer leur résilience. Dans sa recherche, Cheikh Faye, docteur en géographie, et enseignant chercheur à l’Université Assane Seck de Ziguinchor au Sénégal, s’efforce de décrire, en s’appuyant sur des données solides et objectives, le phénomène qui frappe avec une certaine récurrence des quartiers de Ziguinchor. Il donne également la parole aux habitants, et, ce faisant, ouvre la voie à une méthode associant les populations à la définition des actions à mener pour réduire leur vulnérabilité.

Votre recherche interroge la vulnérabilité et la résilience des populations face aux risques d’inondations au Sénégal, et tout particulièrement à Ziguinchor. Quels sont les enjeux d’une telle étude ?

Cheikh Faye : Les catastrophes naturelles s’enchainent à un rythme accéléré à l’échelle mondiale. L’Afrique est particulièrement exposée à ce phénomène pour plusieurs raisons. D’abord, le continent est confronté à une explosion démographique et à une urbanisation rapide et mal maîtrisée. Ensuite, les aléas climatiques y sont fréquents. Le Sénégal n’échappe pas à la règle et encore moins la ville de Ziguinchor qui cumule un certain nombre de facteurs aggravants : la pauvreté des populations, un système d’assainissement défaillant, l’inadéquation ou même l’absence d’un plan d’aménagement urbain, la construction de logements dans les zones inondables, la faiblesse des pouvoirs publics dans la gestion des catastrophes…

Mon étude vise à caractériser et évaluer la vulnérabilité et le niveau de résilience de la population à partir d’un travail documentaire et d’indicateurs tangibles provenant d’une enquête auprès d’un échantillon d’habitants. Au bout du compte, il s’agit d’avoir des données solides sur les inondations et leur impact sur les quartiers et les populations afin de pouvoir envisager de combler les lacunes et renforcer la capacité de réaction des communautés. L’un des enjeux spécifiques est de montrer l’intérêt de la participation des communautés dans la recherche de solutions.

Quelle approche avez-vous développée ?

CF : Dans un premier temps, un travail documentaire a permis de mener une analyse de la vulnérabilité physico-écologique de la ville de Ziguinchor. Il est apparu que la recrudescence des inondations s’inscrivait dans une tendance générale à la hausse des épisodes de précipitations extrêmes. Par ailleurs, la ville a connu un développement fulgurant, la surface occupée passant de 254 ha en 1950 à 2800 ha en 2022. Le travail cartographique révèle que la zone bâtie s’étend surtout dans les basses terres où l’altitude est inférieure à quinze mètres ; ce qui la rend particulièrement vulnérable.

Ensuite, 342 entretiens individuels ont été menés auprès de personnes représentatives de la population, réparties dans six quartiers. Ceux-ci s’appuyaient sur un questionnaire visant à évaluer et quantifier la vulnérabilité des habitants à l’aide d’un indice. En quelque sorte, il s’agit d’un outil d’analyse de sa propre vulnérabilité. Les focus groups ont ensuite permis de créer du débat, de discuter des causes et d’évoquer des solutions.

Que révèlent les échanges avec les habitants sur la perception de leur propre vulnérabilité et sur les solutions qu’ils entrevoient ?

CF : Les résultats confirment la vulnérabilité et la faible résilience des populations dans les six quartiers observés, avec quelques variations notamment dans les zones où des actions de sensibilisation ont été menées. Même si la vulnérabilité économique et sociale est importante, c’est la vulnérabilité institutionnelle qui est la plus élevée. La capacité des institutions à prévenir les inondations, ou à alerter et aider la population est fortement mise en doute. Trois quarts des personnes interrogées mettent en cause l’insuffisance du réseau de drainage pour expliquer les inondations. Cela prouve que les inondations sont perçues comme un problème de politique publique.

Quelles pistes d’actions peuvent émerger à partir de vos travaux ?

CF : Avoir une vision claire et objective du niveau de vulnérabilité et de résilience de la population est déjà en soi une base pour pouvoir agir. Plus généralement, les ateliers que nous avons organisés ont montré que, contrairement à ce qu’on pense, les populations sont conscientes des risques d’inondations et possèdent une bonne connaissance des phénomènes et de leurs causes. Elles souhaiteraient être impliquées dans les décisions qui les concernent. Il faudrait renforcer les initiatives communautaires et s’appuyer sur les communautés pour mettre sur pied une planification urbaine efficace et respectée. Le message s’adresse prioritairement aux pouvoirs publics. Ceux-ci pourraient même être inspirés par la méthode mise en œuvre pour recueillir les besoins et les idées de la population. Face aux inondations, les habitants ne veulent pas rester les bras croisés. Une phrase célèbre de Nelson Mandela illustre bien leur ressenti : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi. »

Crédit photo du haut : IFRC