Auteur d’une recherché intitulée « Enjeux et pratiques de la participation communautaire en Casamance », Alvar Jones Sanchez s’intéresse tout particulièrement au Peacebulding et à l’impact des Comités de paix. Très critique à l’égard de ces modèles d’intervention, il décrit le fossé existant entre les objectifs affichés et leur utilisation par les populations locales comme par les ONG.
La participation des populations a été l’un des piliers des efforts de construction de la paix en Casamance. Cette approche a-t-elle porté ses fruits ?
Alvar Jones Sanchez : L’intention de partir de la base pour résoudre les conflits est louable. Cependant, les objectifs de la participation, ses méthodes et son fonctionnement sont prescrits depuis l’extérieur. Comment, dans ces conditions, peut-on susciter l’adhésion, et créer des dynamiques ressenties comme endogènes ? Certains impératifs dans le fonctionnement des comités de paix, comme l’intégration de femmes et de jeunes, en atténuent la légitimité, dans des contextes où la médiation des différends est souvent l’affaire d’hommes d’un certain âge et d’un certain statut. Il existe déjà, dans les sociétés villageoises, une multitude de mécanismes de résolution de conflits. Faute d’ancrage social, ceux qui sont implantés par les ONG sont peu ou pas utilisés.
Cette approche est aussi victime de l’illusion d’impartialité. En choisissant les « bonnes personnes », et en leur donnant la « bonne formation », il serait possible que le comité agisse de manière impartiale ; cette idée donne à penser que les individus peuvent échapper à leur communauté et à la place qu’ils y occupent. C’est tout le contraire : les comités sont souvent instrumentalisés comme moyen d’accroître sa richesse, sa visibilité ou son pouvoir, ainsi que ceux de sa communauté. Ils peuvent également être la scène d’affrontement pré-existants dans le village, et souvent liés à la propriété foncière et l’exploitation des ressources.
Quel jugement portez-vous sur l’action des ONG ?
AJS : Depuis plus d’une dizaine d’années, il est aisé de constater les problèmes que rencontrent les comités et leur manque de viabilité. Le caractère immuable des stratégies employées montre bien que la réflexion sur l’impact des interventions est limitée. Celles-ci ne sont pas jugées à l’aune des bénéfices qu’elles assurent apporter. Elles sont valorisées et répliquées en fonction de leur valeur compétitive sur le marché du développement. En Casamance, le Peacebuilding a fait émerger un marché humanitaire particulièrement juteux.
Cette mercantilisation de la paix aboutit à la massification des interventions. Dans certaines zones, plusieurs ONG se disputent la promotion de la médiation de conflits. Elles y partagent les mêmes cibles (certains villages), les mêmes objectifs (la médiation des conflits) et des stratégies « participatives » similaires (la mise en place de comités de paix). Le manque de concertation entre les ONG a un impact négatif sur l’efficacité et la légitimité même des interventions.
Depuis la fin des années 1990, les ONG ont permis des avancées notables en Casamance : elles ont notamment permis de rendre audible le désir de paix des populations, étouffé par les belligérants. Mais les zones d’ombre liées à la mercantilisation et à la massification des actions de Peacebuilding n’ont fait l’objet d’aucun bilan. Les ONG, engagées dans des stratégies de marketing vis-à-vis des bailleurs, n’offrent qu’une lecture positive de leurs interventions.
Comment les pouvoirs publics sénégalais vivent-ils cette présence durable des ONG pour un problème qui touche à leur souveraineté ?
AJS : Il arrive que les autorités locales – gendarmerie, mairie, sous-préfecture – jouent le jeu en renvoyant les conflits vers les comités de paix pour une résolution locale. Toutefois, le plus souvent, la complémentarité tant désirée par les bailleurs de fonds n’aboutit pas, soit parce qu’elles ne connaissent pas l’existence des comités, soit parce qu’elles les considèrent comme une menace pour leur autorité.
L’État sénégalais s’accommode bien mieux des enjeux idéologiques que sous-tend l’approche des ONG. L’accent sur le communautaire, sur la participation des populations à la paix, donne en creux un diagnostic qui érige le conflit indépendantiste en problème local lié à la cohabitation de populations. Or, l’une des principales causes des conflits dans les villages demeure la propriété des terres. Ces conflits ne relèvent pas du manque de « compréhension mutuelle » qu’une culture de paix, promue par les ONG et les bailleurs, viendrait compenser. Ils trouvent leur origine dans une réforme foncière des années 1960 qui s’est heurtée de plein fouet au droit coutumier. Ainsi, l’approche participative permet d’escamoter les solutions politiques, au profit de l’État, et d’entretenir le statu quo.