Les activités physiques et sportives peuvent-elles être un outil efficace de lutte contre l’isolement social des jeunes en situation d’exclusion ? Pour répondre à cette question, Julie Duflos, docteur en STAPS[1] et chercheure en sociologie, lauréate d’une bourse de recherche de la Fondation, accompagne et analyse une expérimentation menée à Arras visant à faciliter l’accès à ces activités aux publics les plus précaires.
Pouvez-vous nous décrire le projet dans lequel s’inscrit votre recherche ?
La recherche s’inscrit dans un dispositif proposant des activités physiques et sportives à des personnes en grande précarité. Le projet, mis en œuvre à Arras, associe l’Office des sports, un organisme de formation et plusieurs associations d’insertion. Il consiste à organiser des séances d’activités physiques diverses, cours de yoga, matchs de football ou autres, directement dans les lieux d’accueil. On connaît les vertus du sport sur la santé physique et psychologique. Ici, le dispositif vise, de surcroît, à rétablir un lien social fragilisé ou rompu, à développer l’estime de soi, à susciter l’entraide et la confiance entre partenaires, à aider les participants à renouer avec des codes, des règles, mais aussi avec le goût de l’effort. Chez les personnes sans-abri, il y a une forme de délaissement de soi, de perte de conscience de son corps et du temps. Le sport doit permettre de se resituer dans un espace social.
Il s’agit donc, pour vous, d’évaluer l’impact de ce dispositif ?
Il n’est pas possible de quantifier rigoureusement l’impact d’un tel dispositif. On ne peut pas déterminer le pourcentage d’augmentation de la mobilité des personnes, par exemple, alors qu’une seule séance par semaine est proposée. Mon rôle est plutôt de comprendre et relater le ressenti et les motivations des participants. Quels sont les éléments qui conditionnent leur participation ? Comment jugent-ils et vivent-ils l’opportunité qui leur est offerte ?
Sans ce travail d’enquête, on n’aurait pas de retour clair sur leurs attentes. Il est très difficile de prévoir le niveau de participation ou d’en tirer des conclusions. Les séances sont annoncées ; elles font parfois l’objet d’une inscription. Mais il y a peu de stabilité dans les groupes. Certains lieux ou certaines structures parviennent mieux que d’autres à mobiliser les participants. D’autres paramètres influencent le niveau de participation : l’âge des individus, leurs difficultés spécifiques, la nature des activités proposées, qui peuvent aller du Mölkky pour jouer la carte de la détente et de la convivialité, à la gymnastique douce pour le bien-être, en passant par les sports d’équipes. In fine, il s’agit d’avoir des éléments tangibles pour affiner et mieux cibler le dispositif.
Comment procédez-vous et quelles sont les données que vous avez déjà recueillies ?
J’assiste aux séances régulièrement de manière à me fondre dans le paysage ou même tisser des liens. J’observe comment ils se comportent : les rires, les échanges, les signes de frustration ou de souffrance. À ce stade, on peut déjà remarquer des évolutions : une participante taciturne et renfermée qui se met à communiquer et plaisanter.
L’objectif est, à terme, de pouvoir mener des entretiens biographiques pour connaître leur parcours de vie et faire le lien avec leur perception des activités. Il faut un certain temps pour se faire accepter. Dans cette optique, je fais d’ailleurs une à deux demi-journées de bénévolat au centre d’accueil de jour, pour apporter de l’aide aux démarches, à la rédaction de CV, ou juste les écouter. Les personnes sans-abri ou en situation d’exclusion éprouvent parfois beaucoup de difficultés à exprimer ce qu’elles ressentent. Certaines déclarent que les activités leur permettent de « penser à autre chose » ou encore de « se vider la tête ». L’angoisse est très présente. Arriver à fermer les yeux pendant le yoga était un vrai défi pour une participante. D’autres évoquent un bien-être physique ou au contraire la douleur. Avec des personnes souffrant d’obésité ou de la maladie de Parkinson, les activités physiques relèvent, plutôt du défi contre soi-même. À cet égard, le fait de réaliser les activités dans les lieux d’accueil et dans l’entre soi, enlève certaines barrières relatives à la représentation de soi.
Votre étude a démarré il y a quelques mois. Quelles sont les prochaines étapes que vous envisagez pour votre projet de recherche, à plus ou moins long terme ? Vos objectifs ont-ils évolué ?
Dans le cadre de l’étude que je mène, je dois élaborer et administrer un questionnaire portant sur le lien social. Il serait également très intéressant d’assurer un suivi des participants sur le long terme. D’autant que ce sujet permet d’entrer en relation avec des publics qui se livrent habituellement peu.
Pour ce qui concerne le dispositif, l’étude doit permettre de le pérenniser et de mieux cibler l’offre pour l’adapter. L’idée est de l’étendre à d’autres territoires et à d’autres publics — ce qui est déjà en cours : migrants, réfugiés, victimes d’addiction, bénéficiaires des Restos du cœur… Idéalement, il faudrait également construire des passerelles pour faciliter l’accès à la maison sport-santé voire aux associations sportives. On perçoit dans ce dispositif l’ambition de contribuer à resocialiser des personnes exclues. Mais, à l’origine du projet, il y a d’abord une volonté de réduire les inégalités et démocratiser l’accès aux activités sportives et culturelles. Les personnes qui cumulent les exclusions en sont privées, bien que ces activités leur soient tout aussi indispensables qu’au reste de la population.
[1] Sciences et techniques des activités physiques et sportives
Crédit photo du haut : Croix-Rouge italienne