Que sait-on des personnes âgées poussées à l’exil par la guerre en l’Ukraine? Quels sont leurs besoins, leurs parcours? C’est à ces questions que veut répondre Armelle Klein, chercheure en sociologie à l’INSERM [1] et lauréate d’une bourse de recherche de la Fondation, avec sa recherche intitulée «Vieillir en exil : accès aux soins et vécu des personnes ukrainiennes réfugiées en France». Située à la frontière entre action humanitaire et sociologie du vieillissement, l’étude explore un champ scientifique vierge dans un contexte d’urgence.

Dans quel contexte se déroule votre étude ? Peut-on parler de recherche d’urgence ?

Il y a eu une arrivée massive de réfugiés ukrainiens. Les derniers chiffres font état du passage de 118 994 réfugiés ukrainiens en France avec une proportion importante de personnes âgées. Dans un premier temps, beaucoup arrivaient à trois générations : femme, enfants et grand-mère. Au fil du temps, le profil a quelque peu évolué. Après avoir vu arriver des personnes plutôt aisées, qui pouvaient parfois compter sur l’aide de leur famille ou de leur réseau social, les associations ont été confrontées à des situations de grande précarité avec des réfugiés qui avaient vécu plusieurs mois de guerre et un parcours migratoire plus chaotique. Par ailleurs, de nombreux retours en Ukraine ont lieu tous les jours et les personnes réfugiées sont particulièrement mobiles à leur arrivée.

Du fait de ces évolutions, il y a un véritable enjeu d’adaptation dans la réalisation de la recherche. Il faut accepter qu’il y ait une définition un peu plus floue du contour de l’étude. C’est en ce sens que l’on peut parler de recherche d’urgence.

Pourquoi avoir spécifiquement choisi le cas des personnes âgées réfugiées ?

S’intéresser au vécu des réfugiés, c’est surtout se donner la possibilité de collecter des données sur un public qu’on connaît mal. Par définition, les réfugiés n’ont pas de statut et sont mobiles. Il est difficile de les comptabiliser, de garder leurs traces et de documenter leurs caractéristiques. Avec les personnes âgées, on rajoute une couche de difficultés, car les dispositifs existants sont traditionnellement pensés pour les jeunes migrants ou pour les femmes avec enfants. Or le vieillissement de la population et l’accumulation de crises sanitaires, climatiques, politiques augmentent la proportion des personnes âgées parmi les réfugiés. Ces populations cumulent les vulnérabilités et les besoins spécifiques : de mobilité, d’apprentissage de la langue et de santé. Cette étude est l’occasion de combler un manque de connaissance sur une problématique plus générale.

L’attention portée à la crise ukrainienne a-t-elle eu une influence sur votre recherche ?

Les conditions de prise en charge des réfugiés d’Ukraine sont, en effet, inédites. Les moyens déployés pour faciliter l’accueil, la prise en charge médicale et les démarches administratives ont été exceptionnels. Mais l’accès aux données reste tout aussi compliqué : il n’y a pas réellement de centralisation des informations recueillies par les associations impliquées dans l’accueil et les préfectures sont réticentes à partager des informations. De plus, il y a eu une forme de sursollicitation des associations d’accueil par les médias ou les élus, induisant une certaine méfiance. Peut-être due au débat sur les « privilèges » dont ont bénéficié les réfugiés ukrainiens.

Quelle est l’approche que vous avez adoptée ? Quels sont les résultats que vous attendez de votre recherche ?

Ma recherche est à la fois qualitative et quantitative. Pour l’heure, j’ai surtout commencé à mener des entretiens auprès des associations et personnes âgées ukrainiennes. L’objectif est de connaître leurs besoins et leur parcours d’accès aux soins. Il s’agit également de comprendre comment elles vivent leur exil. Être déraciné à cet âge renforce la perception de sa vulnérabilité. La diversité des situations saute aux yeux après mes premiers entretiens. Mais tous ressentent une perte de repères et une forme de confusion. C’est pourquoi la question du lien social apparaît particulièrement sensible : comment la personne se saisit-elle des liens existants — famille, amis, compatriotes ? Quand on vient en famille, y a-t-il une place pour le développement d’une nouvelle sociabilité ? Les personnes trouvent-elles les ressources et les outils pour garder un contact avec le pays ?

Au bout du compte, l’objectif de l’étude est de rendre visible l’expérience de ces personnes âgées en exil, qui sont actuellement « invisibilisées », et ainsi, donner de la matière à une réponse humanitaire adaptée.

[1] Institut national de la santé et de la recherche médicale

Crédit photo du haut : Victor Berezkin pour la Croix-Rouge