Chaque semestre, la Fondation organise un webinaire, « L’Instant recherche ». Nous y invitons des spécialistes engagés pour un échange libre et exigeant, où la diversité des savoirs, des pratiques et des principes ouvre de nouveaux horizons à la réflexion menée par la Fondation et à l’émergence de modèles d’action innovants.
Thématique
La précarité alimentaire constitue une réalité préoccupante qui touche une part de plus en plus importante et diversifiée de la population française. Les crises économiques et sanitaires récentes ont accéléré ce phénomène qui atteint désormais de nouveaux profils d’individus jusqu’ici relativement épargnés1. Le recours à l’aide alimentaire a en effet triplé ces dix dernières années en France, passant de 820 000 bénéficiaires en 2011 à 2,4 millions fin 20222. Cependant, ces chiffres ne reflètent que très partiellement l’ampleur de la précarité alimentaire qui toucherait en réalité 16% de la population, plus de la moitié n’ayant pas recours à l’aide alimentaire3.
Le système d’aide alimentaire français joue un rôle crucial dans la lutte contre la précarité alimentaire. Elle se retrouve essentiellement sous trois formes : épiceries sociales, distribution alimentaire sous forme de colis et/ou de repas prêts à consommer et aides financières4. Cependant, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les effets pervers que peut comporter l’aide alimentaire qui ne répond que partiellement aux besoins de ses usagers en ne prenant que trop rarement en considération les dimensions nutritionnelle, hédoniste ou socioculturelle de l’alimentation567. Face à la montée de la précarité en France, le système d’aide alimentaire souffre également de difficultés d’approvisionnement et d’une pénurie de bénévoles qui cristallisent les violences réelles ou « symboliques » que peuvent rencontrer les usagers dans leur parcours d’approvisionnement8 renforçant ainsi les vécus d’insécurité, de disqualification et de marginalisation sociales9. S’inscrivant dans une logique d’assistance et ne s’attaquant qu’à l’une des conséquences de la précarité plutôt qu’à ses multiples causes, l’aide alimentaire aurait enfin tendance à entretenir une dépendance vis-à-vis de ses structures participant du même coup au maintien de la précarité10.
En réponse à cela, le secteur de l’aide alimentaire tente d’évoluer. La loi EgALIM11 et la Charte des épiceries sociales et solidaires12 définissent un cadre réglementaire qui ne se satisfait plus d’une aide alimentaire uniquement nourricière, et un cadre d’action invitant les acteurs à assortir celle-ci d’une proposition systématique d’accompagnement. Le 3 novembre 2022, la Première ministre annonçait la création d’un fonds pour une alimentation durable mis en œuvre dès 2023 à travers le programme « Mieux Manger Pour Tous ». De nouveaux modèles, comme la « Sécurité sociale de l’alimentation », proposent de changer profondément le système. De nombreux acteurs développent de nouvelles approches plus participatives et inclusives, comme les ateliers culinaires et des repas partagés qui ont connu un incroyable essor au cours des dix dernières années en France13. D’autres étoffent leur offre pour qu’elle soit de qualité et adaptée aux besoins spécifiques des populations, en tenant compte des dimensions non seulement nutritionnelles, mais également socioculturelles et matérielles de l’alimentation.
La onzième édition de « l’Instant recherche » de la Fondation Croix-Rouge réunira deux chercheuses et une responsable d’association pour aborder ces multiples enjeux d’accroissement, de différenciation et de réponse globale au-delà de l’alimentation, qui rendent nécessaire de réinventer l’aide alimentaire aujourd’hui.
Programme
17h00 : Introduction de Virginie Troit, directrice générale de la Fondation Croix-Rouge française
17h10 : Table ronde « Urgences et enjeux durables : l’aide alimentaire à réinventer »
18h10 : Questions-réponses avec le public
18h30 : Fin
Intervenants
Bénédicte BONZI
Docteure en anthropologie sociale, Bénédicte Bonzi est chercheure associée au Laboratoire d’Anthropologie du Politique, elle accompagne des projets en recherche action avec des associations et des collectivités autour de l’accessibilité alimentaire et de la souveraineté alimentaire, notamment en suivant les travaux du collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation.
Son intérêt pour les formes de violences structurelles liées au système alimentaire s’est concrétisé dans le cadre de la recherche lors de son terrain effectué au Kurdistan iraquien ou elle a enquêté à travers les semences de blés sur comment cette zone du croissant fertile avait gagné un semblant d’autonomie politique tout en perdant son autonomie alimentaire, ces travaux ont donné lieux à l’écriture d’un mémoire de master 2 à l’EHESS. Son travail de thèse portera ensuite sur le fonctionnement de l’aide alimentaire en France. Il s’agira de lever le voile sur un monument : les Restos du cœur. Ce travail a permis de rendre hommage à la manière dont des bénévoles assure la Paix sociale aujourd’hui en France tout en questionnant preuve à l’appui les dysfonctionnements du système alimentaire. Cette réflexion a donné lieu au développement du concept de violences alimentaires. Educatrice spécialisée de formation initiale, Bénédicte va ensuite effectuer un travail de recherche action avec les bénévoles de la Croix Rouge pour comprendre le moteur de l’engagement.
Depuis 2017 Bénédicte accompagne des structures du monde associatif ou des collectivités dans des dispositifs de recherche action. Elle a ainsi participé au projet Accessible mené par la FNCIVAM, accompagné le réseau des AMAP dans leur réflexion sur l’accessibilité, conduit des Projet Alimentaire Territoriaux (PAT) et accompagné des chargés de missions PAT. Elle est aujourd’hui aux côtés de VRAC et de la Caisse de Solidarité Alimentaire du XXème arrondissement de Paris en tant que chercheuse indépendante.
Parmi ses publications :
- BONZI Bénédicte, Le Blé dans la Tourmente. Paris : Editions Panthéon Sorbonne, 2018.
- BONZI Bénédicte, La France qui a faim, Le don à l’épreuve des violences alimentaires. Paris : Le Seuil, 2023.
- Participation à l’ouvrage, Trouble dans le bénévolat, publié sous la direction de Dan Bechman Ferrand, Chroniques Sociales, Lyon, 2023.
- « L’alimentation durable, un enjeu démocratique – Synthèse du projet Accessible. », Innovations Agronomiques », Balbot J-C., Théodore M., Bonzi B., Fiamor A-E., Terrieux A., Mondy B., Dalmais M., INRAE, Ciag, 2021.
- « Comment l’aide alimentaire est utile à la politique alimentaire », Vie sociale, vol. 36, no. 4, 2021.
- « Dilemme de l’aide alimentaire et conflits de normes », revue socio-anthropologie, dossier sécuriser l’alimentation, Juin 2019.
- « Repenser l’aide alimentaire, vers un accès plus juste à la nourriture », pour la revue Vie Sociale.
- « L’aide alimentaire, facteur de résistance pour une démocratie alimentaire. Pour une sécurité sociale de l’alimentation », Multitudes, vol. 92, no. 3, 2023, pp. 86-94.
Sonia BOUIMA
Sonia Bouima est chercheuse, formatrice et consultante en sciences sociales, spécialisée dans le domaine de l’alimentation. Après la réalisation d’une enquête ethnographique portant sur la santé des Gens du voyage dans le cadre d’un master professionnel d’anthropologie à l’université Lyon 2 (2014), elle réaffirme le caractère engagé et appliquée de ses recherches à travers la réalisation d’une thèse CIFRE en sociologie, qu’elle mène au Centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse en partenariat avec l’université Paris Saclay et le groupe de protection sociale AG2R La Mondiale (2016-2019). Sa recherche-action se focalise alors sur des ateliers culinaires et des repas partagés conçus « par » et « pour » des séniors dans le cadre des politiques publiques de lutte contre la dénutrition et l’isolement des personnes âgées en France. Cette démarche lui permet d’évaluer de manière critique les bénéfices et les limites de ces dispositifs et d’en proposer des améliorations.
Très tôt, Sonia Bouima prend conscience du rôle central de l’alimentation, non seulement comme clé de compréhension des dynamiques sociales à l’œuvre dans nos sociétés, mais aussi comme levier puissant de médiation et d’innovation permettant d’en accompagner les mutations. Cet intérêt pour l’alimentation se traduit également dans les formations qu’elle anime. Depuis 2015 et en collaboration avec l’Institut Lyfe (anciennement Institut Paul Bocuse), Sonia Bouima sensibilise les aides-soignant·e·s des Hospices civils de Lyon aux dimensions socioculturelles de l’alimentation, contribuant ainsi à l’amélioration de l’accueil et du bien-être des patients à travers la gestion des repas en milieu hospitalier. Après deux années d’enseignement à la faculté de médecine Lyon-est (2019-2021), elle crée Humaneaty® afin de diffuser son expertise en matière d’alimentation. Dans ce cadre, elle développe des modules de formation au sein de l’école internationale de management responsable 3A Lyon (2022) et de l’IUT de diététique de l’université Lyon 1 (2023) où elle prépare les futurs professionnels de santé et de l’action humanitaire aux défis alimentaires de demain. À l’intersection de l’action sociale, de la santé publique et du développement durable, Sonia Bouima accompagne également toute structure désireuse de développer des solutions alimentaires innovantes, en adéquation avec les enjeux sociétaux et environnementaux contemporains. En 2023, elle est lauréate de la bourse de recherche « Les défis de l’accueil alimentaire » émise par la Fondation Croix rouge française pour son projet de recherche SociAlim portant sur la cuisine partagée comme levier d’action sociale contre la précarité alimentaire.
Parmi ses publications :
- Analyse critique de l’ouvrage À table les vieux sous la dir. de Pitaud P. (2021), Retraite et société, 2022, n°88, p. 271-281
- De l’identité au soin : regard socio-anthropologique sur l’alimentation, La revue de l’infirmière, 2021, n°274, p. 22-24
- Rejouer sa condition sociale sur la scène de l’alimentation partagée : le cas des ateliers culinaires et des repas partagés pour “bien-vieillir“, Sciences & actions sociales, 2021, n°14, p. 63-88
- La “personne âgée isolée dénutrie” : l’usage des discours du risque et du manque par les acteurs de terrain, Retraite et société, 2019, n° 82, p. 89-113
- Manger et cuisiner ensemble pour « bien-vieillir » : quand l’action sociale donne corps aux recommandations officielles, 2019, 428 p.
Aline DI CARLO
Aline Di Carlo est la directrice de l’association VRAC – Vers un Réseau d’Achat en Commun – de Paris, engagée dans le partage du « bien manger ». Après un Master 2 « Innovation sociale et conduite du changement » en économie sociale et solidaire obtenu au Cnam, Aline travaille en tant qu’assistante sociale au Samusocial de Paris, puis en Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Elle rejoint ensuite l’association Aurore où, pendant 11 ans elle assure la coordination sociale et le conseil technique auprès d’équipes de travailleurs sociaux, notamment l’accompagnement des situations complexes (hébergement, addictions, VIH et maladies chroniques, protection de l’enfance). Aline occupe ensuite le poste de « Coordinatrice circuits spécifiques » au sein du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) de Paris, en charge de la régulation et observation de plus de 1 000 places d’hébergement destinées aux circuits spécifiques (jeunes 18/25 ans, personnes victimes de violence, personnes sous main de justice, personnes avec problématiques de santé) et de l’animation du réseau des acteurs de l’accueil, hébergement et insertion dans ses volets spécifiques (justice, jeunes majeurs, soins psychiques, lutte contre les violences faites aux femmes).
Depuis 2019, Aline est la directrice de l’association VRAC Paris. Cette association nationale, créée en 2014 à Lyon et déjà présente dans plusieurs autres grandes villes de France, ouvre des épiceries éphémères pour proposer des produits bios à petit prix dans les quartiers populaires. En associant divers partenaires (bailleurs, centres sociaux, MJC, écoles et collèges, collectivités locales, associations…), VRAC favorise le développement de groupements d’achats dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ceux-ci rendent accessibles aux populations les plus précaires des produits sains et de qualité (produits biologiques ou labellisés), par l’achat en grandes quantités, la réduction des coûts intermédiaires via la priorité donnée aux circuits-courts, ainsi que la réduction des coûts superflus par la limitation des emballages et la vente à prix coûtant (sans marge). Orientée vers l’accès du plus grand nombre à des produits de qualité issus de l’agriculture paysanne/biologique/équitable à des prix bas, l’association permet aux habitants de ces quartiers de s’inscrire dans un mode de consommation durable et responsable, qui repose sur le collectif et les dynamiques locales pour faire face à la précarité et proposer un autre rapport à la consommation, à la santé et à l’image de soi.
Modérateurs
- Virginie Troit, directrice générale de la Fondation
- Vincent Leger, chargé de recherche de la Fondation
Informations pratiques
Revoir nos éditions précédentes :
- 1ère édition « Le regard des sciences sociales sur les épidémies en Afrique » (novembre 2020)
- 2ème édition « Le regard des sciences sociales sur une action humanitaire locale » (décembre 2020)
- 3ème édition « Le regard des sciences sociales sur les migrations » (janvier 2021)
- 4ème édition « Le regard des sciences sociales sur les catastrophes » (mai 2021)
- 5ème édition « Océan Indien : terre de défis et innovations pour les acteurs humanitaires » (octobre 2021)
- 6ème édition « Action humanitaire et accès aux soins : quels nouveaux modèles pour une effectivité du droit à la santé ? » (mai 2022)
- 7ème édition « Exils et accueils : l’expérience migratoire au prisme des sciences sociales » (décembre 2022)
- 8ème édition « De l’urgence humanitaire à la résilience » (juin 2023)
- 9ème édition « Genre et action humanitaire : la place des femmes dans l’humanitaire d’hier à aujourd’hui » (novembre 2023)
- 10ème édition « Gestes qui sauvent : réalités, défis et innovations » (mai 2024)
photo du haut : IFRC
Notes :
1 Banques Alimentaires. (2022). Etude Profils 2023 – Qui sont les personnes accueillies à l’aide alimentaire ?
2 Ibid.
3 Credoc (2023), La débrouille des personnes qui ne mangent pas toujours à leur faim, Note de synthèse, 36, 1-4.
4 Aliocha Accardo, Agnès Brun, Thomas Lellouch (Insee). (2022). Les bénéficiaires de l’aide alimentaire, pour beaucoup parmi les plus pauvres des pauvres − France, portrait social | Insee. 7586.
5 Uniopss. (2015). Dépasser l’aide alimentaire pour aller vers l’accompagnement par l’alimentation.
6 Ramel, M., & Boissonnat, H. (2018). Nourrir ou se nourrir. Renouveler le sens que l’on porte à l’acte alimentaire pour renouveler nos pratiques face à la précarité alimentaire. Forum, 153(1), 53-61.
7 Estany, M. L., Monfort, P. D., González, C. R. M., García, A. M., & Simioli, E. P. (2020). Précarisation alimentaire, résistances individuelles et expériences pratiques : Regards locaux, régionaux, transnationaux. Anthropology of food, S15, Art. S15.
8 Bonzi, B. (2023). La France qui a faim : Le don à l’épreuve des violences alimentaires. Éditions du Seuil.
9 Delavigne, A.-E., & Montagne, K. (2008). De la honte d’avoir faim dans un pays riche. Anthropology of food, 6, Art. 6.
10 Martin-Meyer, L. (2022). [Alimentation] Ces aides qui nourrissent la précarité. Sesame, 12(2), 16-21.
11 Depuis le 1er janvier 2022, la « Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous » impose notamment à la restauration collective publique de proposer au moins 50 % de produits durables et de qualité dont au moins 20 % de produits bios.
12 Cette charte vient en complément des conditions de l’habilitation à l’aide alimentaire. Elle établit des critères spécifiques aux épiceries sociales et solidaires afin de faciliter leur développement autour d’un référentiel commun à tous les acteurs ; cela ne saurait exclure toutes initiatives complémentaires. En signant cette charte, la structure certifie être habilitée (ou, pour les personnes morales de droit public, respecter les conditions de l’habilitation) et s’engage à respecter certains critères de qualité concernant notamment les modalités d’accès, d’accueil et d’accompagnement.
13 Bouima, S. (2019). Manger et cuisiner ensemble pour « bien-vieillir » ? Quand l’action sociale donne corps aux recommandations officielles. [These de doctorat, Université Paris-Saclay (ComUE)]. http://www.theses.fr/2019SACLA017