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Le besoin de réponses à la précarité alimentaire est devenu une urgence en France, dans un contexte d’accroissement général des précarités et inégalités sociales. 10 millions de personnes seraient sous le seuil de pauvreté et potentiellement en insécurité alimentaire[1], et on dénombrait 7 millions de bénéficiaires d’une aide alimentaire en 2021, soit une augmentation de 180 % depuis 2009[2]. La crise engendrée par l’épidémie de Covid-19 a conduit de nombreuses personnes à solliciter pour la première fois un dispositif d’aide alimentaire. Une augmentation très significative des besoins de l’ordre de 20 à 30 % a en effet été observée par les associations œuvrant dans ce champ depuis mars 2020[3]. Le nombre de ces associations approvisionnées par les Banques alimentaires, dont elles dépendent largement, a augmenté de 11 % cette même année[4].

Les profils des personnes recourant à l’aide alimentaire sont par ailleurs de plus en plus variés, avec une présence qui s’affirme de publics dits de « nouvelles pauvretés » (étudiants, retraités, intérimaires, travailleurs pauvres…) aux situations et besoins hétérogènes, qui ne sont pas seulement alimentaires.

Les statistiques sur les pratiques alimentaires des personnes ayant recours à cette aide en France font état de prises alimentaires réduites : 40 % en ont moins de trois par jour, et pour au moins un tiers aucune alimentation n’est consommée le matin[5]. Le repas du soir semble le plus régulier[6]. Ces personnes ont des consommations faibles de fruits et légumes, 40 % d’entre elles seulement déclarant manger 1 à 2 fois par jour de la viande, du poisson ou des œufs[7]. La non consommation des aliments distribués est à 35 % liée à des habitudes alimentaires qui interdisent ces aliments ou en tout cas n’encouragent pas leur consommation.

La précarité favorise les pathologies liées à l’alimentation. Parmi les personnes ayant recours à l’aide alimentaire, des prévalences élevées d’hypercholestérolémie modérée ou sévère ont été mises en évidence chez 40 % d’entre eux, de surpoids (37 %), d’obésité (27 %) surtout des femmes, d’hypertension (28 %) surtout des hommes, et d’anémie (18 %) chez les femmes[8].

Le type d’aide alimentaire auquel une personne a recours semble conditionné par le sexe. Les structures délivrant des colis sont davantage fréquentées par des femmes (76 % des usagers) tandis que les structures délivrant des repas le sont majoritairement par des hommes (87 % des usagers)[9]. Cette différence dans les pratiques de recours à l’aide alimentaire s’explique par une répartition sexuée des rôles dans les tâches alimentaires[10], selon laquelle les femmes cuisinent et les hommes moins. Par ailleurs, d’autres recherches démontrent que « les femmes sont peu visibles dans les distributions de repas chauds effectuées en plein air pour des raisons de sécurité selon leurs dires (concentration d’hommes, drogue, violences, etc.) »[11].

A ce contexte s’ajoute un environnement du secteur de l’aide alimentaire en pleine évolution. La loi EgALIM[12] et la Charte des épiceries sociales et solidaires[13] définissent un cadre réglementaire qui ne se satisfait plus d’une aide alimentaire uniquement nourricière, et un cadre d’action invitant les acteurs à assortir celle-ci d’une proposition systématique d’accompagnement. La précarité alimentaire n’est qu’une facette de la précarité et un des reflets d’une situation de vulnérabilité marquée par l’isolement social, l’absence de logement, l’absence d’emploi, le non accès aux droits, etc. Les deux besoins majeurs des personnes recourant à l’aide alimentaire sont l’accès à la nourriture et/ou soulager le budget pour s’alimenter plus facilement, mais aussi conserver le lien social[14] et le statut de citoyen consommateur.

Or, « on constate aujourd’hui un décalage entre l’aide alimentaire prodiguée selon des objectifs définis par le Conseil National de l’Alimentation[15] et des besoins de populations d’origines culturelles et sociales variées en situation de dépendance alimentaire. »[16] Selon ces objectifs, l’aide alimentaire doit à la fois répondre à l’urgence de nourrir des populations aux cultures alimentaires différentes, sans produire de déchets, tout en constituant un moyen d’inclusion sociale et économique. Malgré les efforts déployés par les organisations, les décalages de l’aide alimentaire sont à la fois nutritionnels[17], matériels et sociaux[18].

Outre ses insuffisances et inadéquations vis-à-vis des profils et besoins des personnes vulnérables, l’aide alimentaire aurait par ailleurs des « effets pervers »[19]. En plus de générer de l’insécurité dans certains lieux de distribution, son recours maintiendrait certaines personnes dans une dépendance et un certain isolement social[20]. Les files d’attente pour un repas[21] ou pour quérir un colis alimentaire, génèreraient des sentiments de honte si forts que certaines personnes s’en détournent, et se replient vers des solutions alternatives comme le glanage de poubelles[22]. Avoir recours à l’aide alimentaire renforceraient donc parfois une image négative de soi et auraient des conséquences sur la sociabilité des personnes.

Adresser ces multiples enjeux d’accroissement, de différenciation et de réponse globale au-delà de l’alimentation rend ainsi nécessaire la transformation des dispositifs d’aide alimentaire des principaux acteurs, comme la Croix-Rouge française (CRf)[23], afin de proposer un véritable « accueil alimentaire »[24] tenant compte des dimensions non seulement nutritionnelles, mais également socioculturelles et matérielles de l’alimentation pour qu’elle soit adaptée aux besoins spécifiques des populations.

La CRf a ainsi décidé de réinterroger sa stratégie de réponse à la précarité alimentaire, avec pour ambition de faire de l’aide alimentaire la première étape vers une sortie durable de la précarité. L’objectif est d’offrir des lieux multiservices qui favorisent le lien social par un accueil chaleureux et convivial, où l’écoute des besoins de chacun permet de répondre aux préférences alimentaires, et de proposer des solutions complémentaires adaptées en faveur d’une inclusion durable dans la société.

Cette ambition repose sur 3 missions prioritaires, qui convergent toutes vers le renforcement de la capacité de résilience des personnes en situation de vulnérabilité :

  1. Améliorer l’accueil pour (re)construire le lien social, en rendant l’expérience usager la plus agréable possible par une écoute attentive et un soutien de proximité pour créer des conditions propices à la participation et la convivialité.
  2. Etoffer l’offre alimentaire pour offrir une réponse immédiate qui s’adapte au besoin alimentaire et qui soit de qualité suffisante[25].
  3. Favoriser le retour à l’autonomie, en développant des actions d’inclusion autour de l’alimentation (ateliers nutrition, ateliers de transformation, jardins solidaires, cuisines partagées, repas solidaires…) et en répondant aux autres besoins des personnes (insertion, aide vestimentaire, etc.)[26].

C’est pour participer à la nécessaire réflexion sur la réponse globale au-delà de l’alimentation des dispositifs d’aide alimentaire dans un contexte d’accroissement de la précarité en France que la Fondation Croix-Rouge française a décidé de lancer cet appel. Celui-ci a pour objectif principal d’étudier les dispositifs expérimentaux mis en œuvre actuellement par la CRf dans le cadre de sa nouvelle stratégie de lutte contre la précarité alimentaire et destinés à vouloir recréer du lien social via l’alimentation.

Parmi ces dispositifs, une attention particulière sera accordée à la façon dont les programmes « repas partagés » et « ateliers nutrition » agissent sur l’éducation au goût, les pratiques et le vécu alimentaires des personnes en situation de précarité dans les unités d’aide alimentaire qui constituent les sites pilotes de cette nouvelle stratégie. Quelles sont les actions les plus pertinentes pour favoriser le mieux manger auprès des personnes en situation de précarité ?

A partir de l’étude des profils des personnes recourant à ces dispositifs et de leurs pratiques alimentaires, il s’agira de comprendre la façon dont les dimensions socio-culturelles du comportement alimentaire entravent ou non l’objectif de recréer du lien social via l’alimentation. Comment mettre en place des actions inclusives autour de la nutrition et l’éduction au goût ? Quels sont les freins à la participation des personnes à ces nouveaux dispositifs d’accueil alimentaire ?

Il sera enfin attendu des recommandations en réponse aux défis de l’accueil alimentaire à destination des bénévoles. La lutte contre la précarité alimentaire est une activité structurante de la CRf, dans sa très large majorité bénévole, ce qui induit de forts enjeux autour du recrutement de forces vives qu’il convient également de former et fidéliser. Qu’est-ce qui facilite ou entrave la mise en place de ces dispositifs expérimentaux par les bénévoles ? Quels sont les outils qui faciliteraient la mise en place de ces dispositifs par les bénévoles ?

[1] Nicolas Duvoux et Michèle Lelièvre (Dir.) (2021), La pauvreté démultipliée Dimensions, processus et réponses, CNLE, 156 p. https://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_lutteexclusion_fin.pdf

[2] COCOLUPA, DGCS (2021), Plan d’action pour la transformation de l’aide alimentaire et la lutte contre la précarité alimentaire, 20 p.

https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_action_transformation_aide_alimentaire_-cocolupa.pdf

[3] Ibid.

[4] Rapport d’activité des Banques alimentaires, 2020.

https://www.banquealimentaire.org/sites/default/files/2021-06/BANQUES_ALIMENTAIRES_RAPPORT_ANNUEL_WEB_2021_42%20%282%29.pdf

[5] BELLIN-LESTIENNE C., DESCHAMPS V., NOUKPOPAPE, HERCBERG S, CASTETBON K. Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire – Étude Abena, 2004–2005. Institut de veille sanitaire, Université de Paris 13, Conservatoire national des arts et métiers. Saint-Maurice, 2007.

[6] BADIA B., BRUNET F et al. “Inégalités sociales et alimentation : Quels sont les besoins et les attentes en termes d’alimentation des personnes en situation d’insécurité alimentaire et comment les dispositifs d’aide alimentaire peuvent y répondre au mieux ?” Rapport final. Étude financée par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (MAAF) et par FranceAgriMer, 2014.

[7] GRANGE D., CASTETBON K., et al. Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire – Étude Abena 2011-2012 et évolutions depuis 2004-2005, 2013.

[8] BELLIN-LESTIENNE C., DESCHAMPS V., et al. 2007, op.cit.

[9] GRANGE D., CASTETBON K., et al. 2013, op. cit., p 43.

[10] FOURNIER T., JARTY J. et al. (Dir.). « Alimentation : arme du genre », Journal des Anthropologues, 2015, p. 140-141.

[11] FOURAT Estelle (2020), « Les dimensions de l’accueil alimentaire : comment mieux nourrir les migrants », Fondation Croix-Rouge française, Les Papiers de la Fondation, n° 27.

[12] Depuis le 1er janvier 2022, la « Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous » impose notamment à la restauration collective publique de proposer au moins 50 % de produits durables et de qualité dont au moins 20 % de produits bios. Par produits durables et de qualité, il est entendu des produits bénéficiant :

  • de signes officiels de qualité comme les appellations d’origine protégée (AOP), le Label Rouge, l’indication géographique protégée (IGP) ou encore l’agriculture biologique
  • de mentions valorisantes (spécialité traditionnelle garantie, HVE, les produits fermiers…)
  • de l’écolabel Pêche durable, pour les produits issus de la pêche maritime.

[13] Cette charte vient en complément des conditions de l’habilitation à l’aide alimentaire. Elle établit des critères spécifiques aux épiceries sociales et solidaires afin de faciliter leur développement autour d’un référentiel commun à tous les acteurs ; cela ne saurait exclure toutes initiatives complémentaires. En signant cette charte, la structure certifie être habilitée (ou, pour les personnes morales de droit public, respecter les conditions de l’habilitation) et s’engage à respecter certains critères de qualité concernant notamment les modalités d’accès, d’accueil et d’accompagnement.

[14] ATD Quart Monde (2014), Se nourrir quand on est pauvre, 182 p. https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2016/07/Se-nourrir-lorsquon-est-pauvre.pdf

[15] Selon la définition du Conseil National de l’Alimentation, l’aide alimentaire a pour but de « répondre à des situations d’urgence ; offrir une alimentation diversifiée, de qualité et en quantité suffisante ; inciter la personne démunie à prendre soin d’elle dans un processus de ‘renarcissisation’ ; éviter le gaspillage ; constituer un outil d’inclusion sociale, voire économique. » Aide alimentaire et accès à l’alimentation des populations démunies en France – Avis n°72 adopté à l’unanimité le 22 mars 2012 – Conseil National de l’Alimentation.

[16] FOURAT Estelle (2020), « Les dimensions de l’accueil alimentaire : comment mieux nourrir les migrants », Fondation Croix-Rouge française, Les Papiers de la Fondation, n° 27, p. 3.

[17] BELLIN-LESTIENNE C., DESCHAMPS V., NOUKPOPAPE, HERCBERG S, CASTETBON K. (2007), Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire – Étude Abena, 2004–2005. Institut de veille sanitaire, Université de Paris 13, Conservatoire national des arts et métiers. Saint-Maurice.

MARTIN-FERNANDEZ J., LIORET S., VUILLERMOZ C., CAUVIN P., VANDENTORREN (2018), S. Food Insecurity in Homeless Families in the Paris Region (France): Results from the ENFAMS Survey. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2018, 15, 420. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5876965/

[18] CÉSAR C. (2008), « Dépendre de la distribution d’aide alimentaire caritative / Relying on charity », Anthropology of food, 6, September 2008, Online since 28 avril 2009.

[19] FOURAT Estelle (2020), « Les dimensions de l’accueil alimentaire : comment mieux nourrir les migrants », Fondation Croix-Rouge française, Les Papiers de la Fondation, n° 27.

[20] RYMARSKY C., THIRON M.C. (1997), La faim cachée. L’aide alimentaire en France : une réflexion critique sur l’aide alimentaire en France. Paris : Solagral.

[21] VIOLETTE-BAJARD C. (2000), Visages de la pauvreté, Don alimentaire et précarité urbaine. Lyon : Chroniques sociales.

[22] CÉSAR C. (2009), « Faire les poubelles pour manger » : l’écosystème fragile du glaneur. In : « Populations précarisées : l’accessibilité de l’alimentation ». La santé de l’homme, n° 402, p. 33-35.

[23] Derrière le Secours Populaire français, les Restos du Cœur, et avant l’ANDES, la CRf est le 3ème grand réseau d’aide alimentaire au regard du tonnage distribué (10 %, soit 32 000 tonnes de denrées). Elle représente par ailleurs 16 % des structures d’accueil (778 unités d’aide alimentaire, animées par 17 000 bénévoles), 14 % des repas distribués et 12 % des publics accueillis (420 000 personnes accompagnées).

[24] FOURAT Estelle (2020), « Les dimensions de l’accueil alimentaire : comment mieux nourrir les migrants », Fondation Croix-Rouge française, Les Papiers de la Fondation, n° 27.

[25] Cette mission sera réalisée vis différents programmes expérimentés actuellement, tels que :

  • le programme « circuits courts », qui permet l’approvisionnement en fruits, légumes frais et œufs ;
  • le programme « épices et vous », qui consiste à approvisionner en épices ou en produits type bouillon Maggi les unités d’aide alimentaire pour faciliter l’appropriation du goût d’aliments peu ou mal connus ;
  • le programme « produits d’hygiène » ;
  • le programme “produits bébé », qui consiste à approvisionner les unités d’aide alimentaire en produits alimentaires et couches pour bébés ;
  • le programme « petit matériel de cuisine », qui consiste à proposer à certaines personnes la possibilité de se fournir en petit équipement de cuisine (poêles, casseroles).

[26] Cette mission sera réalisée vis différents programmes expérimentés actuellement, tels que :

  • le programme : « accéder à des jardins solidaires », qui permet l’accès régulier à un jardin solidaire et aux activités associées de jardinage ;
  • le programme « ateliers nutrition », qui permet l’accès régulier à un atelier ou à des prestataires (food truck, associations dédiées…) ;
  • le programme « repas partagés »

Zone géographique de recherche

 

La recherche aura lieu en France.

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Bourse de recherche (individuelle)

Nombre de bourse : 1

Montant : 18 000 €

Chaque lauréat bénéficiera en outre de :

• la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros).

• suivi scientifique et tutorat personnalisés
• accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publications sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
• abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires

Dates clés :

  • 3 avril 2023 : lancement de l’appel
  • 21 mai 2023 : clôture des candidatures à minuit (heure de Paris)
  • 6 juillet 2023 : annonce des résultats
  • 1er septembre 2023 : début de la recherche
  • 1er septembre 2024 : rendu des livrables finaux

Mots-clés :

  • Alimentation
  • Précarité
  • Santé
  • Nourriture

Financé par :

Crédit photo : ©IFRC_p-HUN0266