Volunteering by migrants: a real tool for integration?

Thématique de recherche

In French only, thank you for your understanding

 

La notion de participation n’est pas nouvelle[1][2]. Elle a été largement étudiée dans le domaine de l’action sociale et de la lutte contre la pauvreté[3], au point de se retrouver au cœur de nombreuses expérimentations et de certains des dispositifs les plus importants de la lutte contre la pauvreté en France.

Cette notion fait toujours débat[4] concernant ses conditions de mise en œuvre, peut connaitre des différentes déclinaisons (co-construction, empowerment…)[5], il y a ses grands défenseurs[6] et ceux qui s’efforcent de clarifier les termes[7], ou encore de définir un cadre et une méthodologie pour éviter certains effets non désirés[8].

Quoi qu’il en soit, il semble désormais acquis que, comme l’a écrit le philosophe Paul Ricœur, « la souffrance n’est pas uniquement définie par la douleur physique, ni même pas la douleur mentale, mais par la diminution, voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir faire, ressentie comme une atteinte à l’intégrité de soi »[9], et qu’il convient par conséquent de développer du « pouvoir d’agir », tel que le définit le psychologue Yann le Bossé, c’est-à-dire le « processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir sur ce qui est important pour elles-mêmes, leurs proches ou le collectif auquel elles s’identifient »[10].

Aujourd’hui la participation des publics accompagnés s’observe assez largement dans le monde associatif, et s’étend à de plus en plus de publics. Ainsi, plusieurs initiatives permettent aux personnes exilées de participer aux programmes qui les concernent. Consultées par certaines associations à l’occasion d’un projet particulier ou sur les conditions de leur accueil ou de leur accompagnement, elles sont parfois invitées à co-construire des projets par d’autres associations qui font le pari d’une action commune, qui pensent l’intégration comme un double mouvement de la société d’accueil vers les personnes exilées et réciproquement. C’est le cas de la Croix-Rouge française ou encore du Secours catholique, qui décident d’impliquer fortement les personnes exilées dans l’action.

Au Secours catholique, le Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (Cedre)[11] a pour ambition la défense collective des droits et promeut la mobilisation des personnes exilées. Cette attention à la participation des personnes accueillies est très en lien avec la culture globale de l’association qui a évolué lors de ces dix dernières années, et les équipes sont incitées à développer le pouvoir d’agir des personnes accompagnées, à proposer à des personnes en situation de précarité de s’engager comme bénévoles. Ce lieu d’accueil pour demandeurs d’asile sert de laboratoire d’expérimentation pour l’ensemble des actions de l’association et a permis d’analyser les impacts du bénévolat inclusif sur tous les membres de l’équipe (bénévoles exilés ou non et salariés)[12]. Au Cedre, la moitié de l’équipe de bénévoles est constituée de personnes exilées elles-mêmes. Leur expertise, basée sur leur expérience de vie et leur parcours d’exil, est valorisée et permet de mieux accueillir et accompagner les nouveaux arrivants. Les exilés qui s’engagent comme bénévoles occupent des missions variées, ne se limitant pas à l’interprétariat.

On observe le même type de changement au sein de la Croix-Rouge française. Une décision du conseil d’administration de décembre 2018[13] accompagne et encadre la volonté d’intégrer des bénéficiaires comme bénévoles. La participation à l’action est bien une forme de co-animation et la Croix-Rouge française affirme la compatibilité entre la situation de bénévole et la situation de personne accueillie. Un guide interne sur le bénévolat inclusif a récemment été édité pour donner des outils pour augmenter la participation des personnes accueillies, et parmi elles les personnes exilées. Aussi, une plateforme de microprojets par et pour les réfugiés (Red Touch’) aide les bénévoles à concrétiser leurs projets en ce sens[14]. Conformément à son principe d’inconditionnalité de l’accueil, la Croix-Rouge française favorise le bénévolat de toutes les personnes désireuses de s’engager. Ainsi, les personnes migrantes, qu’elles soient en situation administrative régulière ou irrégulière, peuvent devenir bénévoles au sein de l’association. Cette forme d’engagement est même encouragée parce qu’elle est perçue comme participant de l’insertion sociale de ces publics. En effet, la participation des personnes exilées renvoie à la notion d’expertise. Une forme d’expertise s’acquiert dans l’acte même de participer. Faire partie d’une démarche participative permet de l’analyser, de penser ses points forts ou ses faiblesses. Toutes ces expériences acquises peuvent être mobilisées dans d’autres contextes.

Cela dit, on dispose encore de peu d’éléments sur les effets des démarches de ce type. Aussi, conséquence du principe d’inconditionnalité dans l’accueil des bénéficiaires et des bénévoles, les associations ne peuvent avoir une vision précise du nombre de personnes migrantes engagées dans les actions et ne peuvent que se baser sur des témoignages ou des remontées ponctuelles d’équipes. De plus, si la conviction de nombreuses structures (associations, collectifs, collectivités locales) est que la participation des personnes exilées est essentielle à la réussite des programmes et des politiques publiques, encore peu d’initiatives sont forgées avec elles et à partir de leur expertise. Les programmes d’accueil et d’intégration proposés aux nouveaux arrivants sont «  souvent pensés en amont, par des personnes qui n’ont pas l’expérience de la migration, sans associer les personnes exilées. La participation des personnes exilées connaît de nombreux freins et limites »[15]. Enfin, les acteurs qui se lancent se trouvent confrontées à des difficultés liées aux changements que cela suppose dans leur organisation, dans leur façon de travailler et de délivrer ces services, ainsi qu’à des difficultés de mise en œuvre concernant le recrutement puis l’intégration de personnes migrantes dans les équipes : barrière de la langue, barrière culturelle (notamment en ce qui concerne l’appréhension du concept de bénévolat), préjugés à l’égard de ces publics, verticalité de la relation aidant-aidé, identification d’activités à même de valoriser les compétences des exilés, etc. La participation des personnes exilées reste donc un défi et sa mise en pratique n’est pas simple. Elle suppose des étapes préalables, une attention renouvelée aux personnes accompagnées et des interrogations constantes.

Objectifs de la recherche

C’est pour participer à la nécessaire réflexion sur la question de la participation des réfugiés et des migrants en tant que bénévoles au sein de la CRf que la Fondation Croix-Rouge française a décidé de lancer cet appel. Celui-ci invite à tirer les enseignements de ces expériences, afin d’évaluer leurs différents effets et savoir dans quelle mesure elles participent véritablement à l’insertion sociale et professionnelle de ces publics accompagnés.

Il s’agira notamment d’analyser les différentes formes de la participation et des actions menées, de collecter des retours d’expériences de participation des réfugiés ou des migrants, et d’identifier les facteurs qui favorisent leur participation en tant que bénévoles aux actions de la Croix-Rouge française. Dans le contexte actuel, la recherche pourra éventuellement étudier les modalités et effets sur la résilience des exilés ukrainiens d’initiatives ayant permis leur participation à des actions associatives, notamment en tant qu’interprète[16].

La question de l’accueil des personnes migrantes en tant que bénévoles de l’association se pose dans toutes les structures Croix-Rouge. L’appréhension de cet enjeu à l’échelle nationale permettra d’adopter une approche comparative, facilitant la mise en exergue de facteurs clés de succès, et donc de leviers permettant de susciter un accueil des personnes migrantes en tant que bénévoles.

Ainsi, il s’agira enfin de proposer des éléments méthodologiques à propos de la participation des migrants et des réfugiés sous la forme de conseils à destination des acteurs de terrain. Ces éléments méthodologiques permettront de dégager des pistes pour surmonter les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de dispositifs de participation ou, peut-être, de donner des idées utiles pour initier une démarche de développement des capacités d’agir des personnes accompagnées.

 

  • Quelle est la réalité actuelle du bénévolat des personnes migrantes au sein de la Croix-Rouge française ? Quelles sont les expériences de participation des réfugiés ou des migrants à la Croix-Rouge française ? Quelles formes prennent les actions où les premiers concernés sont consultés, associés, participent activement ? Cette participation est-elle occasionnelle, régulière, systématique ou encore inexistante ?
  • Quels enseignement peut-on tirer des expériences de participation des réfugiés et des migrants en tant que bénévoles au sein de la Croix-Rouge française ?
  • Comment les personnes migrantes vivent-elles cette expérience, et qu’en retiennent-elles ?
  • Quels sont les freins au recrutement et à l’intégration des migrants parmi les équipes de la Croix-Rouge française ? A contrario, quels sont les facteurs clés de succès ? Comment aller vers les personnes exilées qui ne participent pas encore ? Qu’elles sont les conditions pour donner la parole aux personnes exilées et les mettre en capacité d’agir ? Dans quelle mesure l’organisation doit-elle se modifier, les habitudes de travail être repensées pour permettre une réelle participation des migrants et des réfugiés ? Comment éviter la mise en place d’un bénévolat « à deux vitesses », un « classique » et un « adapté » ?
  • Le bénévolat des personnes migrantes à la Croix-Rouge française génère-t-il des nouvelles perspectives d’insertion pour ces publics ? Dans quelle mesure devenir bénévole permet de développer un réseau utile à l’insertion social des migrants et/ou d’acquérir des compétences valorisables dans leur carrière professionnelle en France ?
  • Comment appliquer la notion de participation à des personnes exilées ? La participation des réfugiés et des migrants présente-t-elle des spécificités ?

[1] Dès sa création en 1957, le mouvement ATD quart monde a été précurseur dans le domaine, en mettant au cœur de son projet l’idée que les personnes en situation de pauvreté participent elles-mêmes à la conception des politiques les concernant. Son fondateur, Joseph Wresinski, proposait de mener des actions non pas « pour » mais « avec » les personnes très pauvres.

[2] « Vous avez dit participation ? Une vieille notion », Presses de l’école des hautes études en santé publique, 2018, p. 14-83.

[3] Lire notamment Brigitte BOUQUET et Marcel JAEGER (2017), De la participation au pouvoir d’agir, Erès, 229 p. https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2017-3.htm

[4] Lire notamment : Didier WOUTERS (Dir) (2019), La participation : nouvel idéal ?, Le Sociographe, 12/2019, n° 68, p. 27-148.

[5] Michel FOUDRIAT (2019), « La co-construction : une alternative managériale », Presses de l’école des hautes études en santé publique, 2019, 193 p.

[6] Lire notamment Didier DUBASQUE, « Éloge de la co-construction, une pratique de travail social à développer », 07/02/2019 https://dubasque.org/2019/02/07/eloge-de-la-co-construction/

[7] Sur la proximité de la notion de « pouvoir d’agir » avec celle, ambiguë, d’« empowerment », lire notamment Brigitte PORTAL (2021), « Le pouvoir d’agir n’est pas le devoir d’agir », Actualités sociales hebdomadaires, 09/04/2021, n° 3204, p. 38-39.

[8] Sur la question « comment accompagner les personnes qui rencontrent des obstacles dans leur parcours de vie en évitant des impacts douloureux tels l’infantilisation ou la stigmatisation ? », lire notamment Bernard VALLERIE (2018), Action sociale et empowerment, Université Grenoble Alpes, 2018, 77 p.

[9] Paul Ricœur (1990), Soi-même comme un autre, Seuil, 432 p

[10] Yvan Le Bossé (2012), Sortir de l’impuissance. Invitation à soutenir le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités. Éditions Ardis.

[11] Créé en 1989, situé dans le Nord-Est de Paris, le Cedre accueille près de 5 000 personnes par an. Voir le site www.secours-catholique.org.

[12] Lire l’entretien avec Véronique Fayet, présidente du Secours catholique in M.-H. Bacqué, E. Bodinier, V. Fayet, « Qui a peur de la participation ? », Revue Projet, n° 363, avril 2018, pp. 44- 51 : « Pourtant, au quotidien, ce n’est pas toujours simple pour nos bénévoles de laisser la place à des personnes qui ne s’expriment pas de la même façon, viennent de la rue ou du bout du monde. Et pour permettre à tous de se sentir membres, à part entière, il nous faut abandonner une partie de notre pouvoir, en acceptant de changer les horaires d’ouverture et de fermeture du local, en laissant la clé à quelqu’un d’autre… ».

[13] « La Croix-Rouge française, dans ce qu’elle œuvre pour la dignité des personnes en toute impartialité, reconnaît chacun dans sa capacité à être acteur. […] [Elle] doit permettre en premier lieu à ces publics de s’exprimer, de recouvrer leur capacité à agir pour elles et pour les autres. […] [Le] Conseil d’administration souhaite affirmer le principe de la participation des publics au sein des structures de la Croix-Rouge française sous deux formes principales : la participation à l’action et la participation des publics en tant qu’experts. »

[14] Le dispositif Red Touch’ permet aux bénévoles de la Croix-Rouge française d’obtenir un soutien financier pour leur projet à hauteur de 50 % du budget prévisionnel, de bénéficier d’un soutien méthodologique dans la conception et l’organisation de l’action, et de valoriser l’action et d’en faire la promotion via la plateforme en ligne (https://redtouch.croix-rouge.fr/). Près de 600 projets réalisés depuis 2012 sont consultables sur la plateforme.

[15] Sophie Bilong « La participation des personnes exilées : des pistes pour repenser l’intégration », Etudes de l’Ifri, Ifri, mai 2020.

[16] La résilience est un concept qui fait largement écho aux études du psychiatre et psychanalyste B. Cyrulnik qui, dans son ouvrage Autobiographie d’un épouvantail (2008) défend que la valorisation des individus dans le processus de secours et de sauvetage est un des piliers de leur résilience. « La ville de Naples a subi des tremblements de terre successifs dans les années 1980. Dans une entreprise un petit groupe a été protégé et éloigné de la zone détruite. Un autre a été aidé sur place. Tandis que le troisième n’a pas été sécurisé. Après les tremblements de terre suivants (…) le groupe qui a donné le moins de syndromes psychotraumatiques était composé dhommes qui non seulement avaient été entourés sur place parmi les décombres, mais qui, en outre avaient été engagés dans l’action des secours. »

Zone géographique de recherche

 

La recherche aura lieu en France.

Applications closed

Bourse de recherche (individuelle)

Nombre de bourse : 1

Montant : 18 000 €

Chaque lauréat bénéficiera en outre de :

• la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros).

• suivi scientifique et tutorat personnalisés
• accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publications sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
• abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires

Dates clés :

• 1er août 2022 : lancement de l’appel
• 13 septembre 2022 : clôture de l’appel à minuit (heure de Paris)

• 14 octobre 2022 : annonce des résultats
• 1er novembre 2022 : début de la recherche

• 1er novembre 2023 : rendu des livrables finaux

Mots-clés :

  • Migration
  • Exil
  • Bénévolat
  • Participation

Financé par :

Crédit photo : ©Louis Witter