Research project

À la recherche de soi : corps et identité des grands marginaux intégrant un ‘’Village d’insertion’’ à Nancy

Les soins esthétiques ne semblent pas être une priorité de l’action sociale auprès des personnes sans-abri. Ici, on cherche cependant à évaluer dans quelle mesure ces soins esthétiques permettraient de participer à la réappropriation de soi, tant corporelle qu’identitaire

 

Le rôle de l’intervention socio-esthétique dans la (re)construction de soi

La dégradation du corps et de l’identité des personnes sans-domicile est à la fois une cause et une conséquence de leur marginalité, qui plus est lorsque l’expérience de la rue est longue. Dans cette recherche, il s’agit de voir comment l’intervention sociale et la stabilisation (et plus particulièrement une intervention socio-esthétique) peuvent participer de la reconstruction corporelle et identitaire des personnes hébergées au sein d’un « Village d’insertion ». L’approche pragmatiste développée permet de saisir en actes et en paroles les effets de la stabilisation sur la (re)construction de soi (tant corporelle qu’identitaire) et notamment la réception d’une intervention socio-esthétique : en faisant l’hypothèse que cette intervention sur le corps, le bien-être et l’apparence physique peut être un levier vers la réappropriation de soi (corps et identité) et de son histoire personnelle.

 

Entre la recherche et l’intervention sociale

La recherche se déroule au sein d’un “Village d’insertion”, à “bas seuil” d’exigence, expérimental, monté dans le cadre de l’AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) “Grande marginalité” lancé par la DIHAL (Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement) et la DIPLP (Délégation Interministérielle à la Prévention et à la Lutte contre la Pauvreté) fin 2020. Il s’agit d’un dispositif d’hébergement accueillant une quinzaine de personnes définies comme “grands marginaux”, c’est-à-dire connaissant des problématiques d’addiction, de troubles psychiatriques et/ou des expériences carcérales, qui étaient chroniquement ou durablement en situation de rue. La principale difficulté de la recherche consiste à créer du lien avec ces personnes afin de partager leur quotidien et recueillir leur parole. Au-delà de l’approche ethnographique déployée sur le site, il s’agit d’évaluer la mise en œuvre et la pertinence d’une intervention socio-esthétique qui sera mise en place durant l’année de la recherche.

 

La réinsertion sociale: ressources et obstacles

Cette recherche se veut en lien direct avec l’intervention sociale : elle affirme et assume sa portée opérationnelle, notamment auprès des financeurs du Village d’insertion, mais aussi auprès de la Croix-Rouge Française. L’action sociale expérimentée consiste d’abord à stabiliser les personnes dans un habitat avant de travailler à leur rétablissement et leur accompagnement social. En évaluant les effets et limites d’une intervention socio-esthétique sur les publics accueillis et en analysant les interactions aidant/aidé au sein du Village d’insertion, il s’agit de mettre en évidence les ressources et obstacles (institutionnels, interactionnels, corporels, identitaires…) au rétablissement et à la réinsertion sociale, tant sur le plan corporel et sanitaire que sur le plan identitaire et socio-professionnel. Il s’agit par ailleurs d’identifier les freins et leviers à la reconstruction corporelle et identitaire des “grands marginaux”‘, notamment en focalisant le regard sur leur rapport au corps, leurs résistances identitaires et les relations (interactions) qui se mettent en place avec les divers intervenants.

 

Une recherche du programme Bénévo’Lab

Cette recherche a été conduite dans le cadre de bénévo’Lab, le programme de recherche de la Fondation dont l’initiative vient de ceux qui mènent les actions de la Croix-Rouge française au quotidien. Bénévo’Lab propose à tous les bénévoles et salariés de la Croix-Rouge française de bénéficier d’un soutien technique et scientifique pour répondre à des questions ou difficultés opérationnelles rencontrées lors des missions Croix-Rouge. Chacun dans l’action n’a pas toujours le temps ou le recul nécessaire pour mener seul une réflexion sur son action, les problèmes qu’il rencontre. La Fondation Croix-Rouge propose d’associer, pendant une année, un spécialiste universitaire expert de la question soulevée, en lien constant et direct avec le bénévole ou salarié et ses missions. Au terme de l’appel à propositions lancé début 2021 auprès de tous les bénévoles et salariés de la Croix-Rouge française, un projet proposé par une bénévole et portant sur le thème du rapport au corps et de l’estime de soi des personnes sans abri a été retenu. L’appel à bourse de recherche qui fut ensuite lancé fut donc tiré de la proposition initiale d’une bénévole et de sa participation active à sa rédaction aux côtés de la Fondation. Pour que, à travers cette bénévole, les femmes et les hommes engagés au quotidien sur le terrain bénéficient de l’expérience et des résultats de la recherche, et que leur action au service des plus vulnérables en soit renforcée, Thibaut Besozzi, lauréate de cet appel, a conduit ses travaux en lien direct avec la bénévole à l’origine de ce projet.

 

Biographie

Après avoir obtenu un Master de sociologie à l’Université de Lorraine (Nancy) en 2011, Thibaut BESOZZI s’engage dans une thèse, sous la codirection de Philippe Chanial et Hervé Marchal, d’abord à l’Université de Paris-Dauphine, puis à l’Université Caen-Normandie, où il soutien à la fin 2015. Au carrefour entre l’anthropologie urbaine, la sociologie de la marginalité et la sociologie du travail social, ses recherches adoptent une perspective ethnographique et anthropologique analysant l’espace public urbain, les diverses populations marginalisées qui s’y inscrivent et les modalités de réactions sociales (tant assistancielles que sécuritaires) qu’elles font émerger. Depuis 2017, il s’intéresse aux personnes sans-domicile en questionnant notamment leur dynamique de socialisation dans le “monde de la rue” et les tensions identitaires qui traversent leur expérience du sans-abrisme (entre enjeux corporels et estime de soi).