The French Red Cross Foundation is a member of The Conversation France. As such, it re-publishes in its columns the articles of the researchers it supports, using the Creative Commons license, in compliance with the media’s deontology. Today, this is the article by the socio-economist Tantely Andrianantoandro, laureate of a postdoctoral fellowship from the Foundation in 2018.

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Observatoire d’Ambohimahasoa, 2012. On constate l’exiguïté des superficies cultivables. Au premier plan, des enfants qui aident leurs parents à transporter du charbon.
Tantely Andrianantoandro, Author provided

Madagascar est un pays pauvre où plus de 75 % de la population vit en dessous de 1,90 $/jour et environ 50 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance. Le taux d’abandon scolaire reste également parmi les plus élevés. Les dernières enquêtes relèvent en effet un taux de survie en dernière année du primaire s’élevant à 36,1 % en 2015. L’abandon scolaire et/ou la mise au travail des enfants sont souvent liés à la pauvreté des ménages. Néanmoins, dans un contexte de pression foncière qui incite les jeunes générations à migrer, la scolarisation est perçue comme une porte de sortie de la pauvreté.

Dans le milieu rural des hauts plateaux malgaches, les ménages font face depuis quelques décennies à une forte diminution de leur superficie cultivable. Cette dernière est passée de 3,8 hectares par ménage en 1993 à 1,3 hectare en 1999 et à 0,8 hectare en 2004. Cette diminution est attribuée à une augmentation du nombre des petits exploitants agricoles en raison d’un taux de croissance démographique élevée et d’un système d’héritage qui, culturellement, oblige les parents à transmettre la terre des ancêtres à tous les enfants.

En 2011 et en 2012, des enquêtes de terrain dans l’observatoire d’Ambohimahasoa, une ville située à environ 350 km de la capitale, ont permis de recueillir les perceptions qu’ont les parents de la scolarisation de leurs enfants. En 2019, les résultats de ces enquêtes sont toujours d’actualité mais s’inscrivent dans une condition de survie de plus en plus dure. En effet, les parents rapportent une situation grandissante d’insécurité et d’insuffisance de la production agricole. Cette dernière n’assure plus qu’une disponibilité alimentaire de 2 à 5 mois dans l’année, nécessitant de trouver des revenus complémentaires.

Cette photo prise en février 2020 représente les petites superficies cultivées mais également la disparition de la forêt, rendant l’immigration temporaire de travail indispensable à l’échelle communautaire.
Tantely Andrianantoandro, Author provided

La perception de l’éducation par les parents

À Madagascar, la loi instaure une fréquentation scolaire obligatoire à partir de 6 ans. Dans l’observatoire d’Ambohimasoa, plus de la moitié des enfants de cet âge ne vont pas encore à l’école ; en revanche, 96 % des enfants de 10 ans sont scolarisés. En ce qui concerne l’abandon scolaire, le phénomène s’amplifie avec l’âge : 25 % des enfants de 14 ans et plus de 50 % enfants de 17 ans sont concernés.

En général, les propos des parents que nous avons recueillis indiquent qu’ils souhaitent que leurs enfants demeurent scolarisés dans la mesure de leurs possibilités financières. En effet, devant la raréfaction de la terre, les parents prennent conscience qu’ils n’auront rien à offrir à leurs enfants. Un homme de 37 ans confie ainsi :

« Jusque-là, je n’ai jamais pensé à faire abandonner l’école à mes enfants. Tant que j’aurai les moyens, je les enverrai à l’école, pour qu’ils puissent atteindre le niveau le plus élevé possible. »

Un autre, de 34 ans, abonde dans son sens :

Si la scolarité de mes enfants ne dépendait que de moi, je les pousserais à continuer leurs études, à aller au collège, au lycée et pourquoi pas à l’université. J’aimerais qu’ils deviennent fonctionnaires. Ici, la terre est saturée et je ne peux rien leur offrir d’autre. Tant que j’en aurai les moyens, je les pousserai à poursuivre leurs études.

La pression foncière a pour conséquence de générer deux types de migration : les migrations temporaires de travail des adultes pour assurer un complément de revenu ; et une migration continue et de longue durée chez les plus jeunes qui partent ailleurs chercher des opportunités de travail. Pour ce qui concerne les migrations de longue durée, l’atteinte d’un niveau de scolarisation plus élevé conditionne l’accès à de meilleurs emplois et est à l’origine des choix des lieux de migration (ville, zones avoisinantes ou grandes villes). Ainsi, les jeunes parents, qui ont désormais intériorisé qu’il était extrêmement difficile de vivre de l’activité agricole, souhaitent que leurs enfants aient un avenir différent du leur et occupent un emploi non agricole.

Cependant, les parents évoquent également les difficultés économiques qui les obligent à déscolariser temporairement ou définitivement leurs enfants. Dans l’observatoire d’Ambohimahasoa, 12,8 % des enfants de 6 à 17 ans contribuent aux revenus du ménage. Les enfants retirés de l’école ne sont pas considérés comme actifs du ménage mais sont appelés à aider les parents dans les activités domestiques et, parfois, économiques. C’est la situation financière du ménage qui conditionne la reprise ou non de la scolarité.

Dès lors, comment concilier la scolarisation et les besoins de main-d’œuvre et de revenus ?

En milieu rural, les enfants, selon leur âge, participent à diverses activités domestiques (cuisine, lessive, etc.), agricoles (transport d’engrais, transport des récoltes) et d’élevage (garde d’animaux). C’est à partir de 17 ans que les enfants sont considérés comme capables de se substituer aux adultes, notamment pour les activités agricoles nécessitant plus de force physique (travailler la terre, repiquer, etc.). Avant cet âge, ils sont considérés comme des aides.

Les activités agricoles étant soumises à des contraintes de temps et de climat, la main-d’œuvre enfantine a toujours été réquisitionnée en période de culture et de récolte. Les enfants aident leurs parents dans leur propre parcelle ou dans celle des autres lorsque les parents se salarient. Dans la plupart des régions rurales de Madagascar, les difficultés alimentaires apparaissent durant la période de pluie et de culture. Les individus doivent donc se salarier ailleurs pour trouver un complément de revenu. Ainsi, certains enfants sont temporairement retirés de l’école pour remplacer les parents dans les activités domestiques ou les aider dans les activités agricoles. Une fois le salariat ou les activités terminées, les enfants reprennent l’école.

Ils sont de nouveau sollicités lors des jours de récolte de paddy, principale culture de la région. Durant cette période, les parents et les instituteurs conviennent eux-mêmes de fermer l’école afin que les enfants puissent aider aux champs. En travaillant avec leurs parents dans les autres champs, les enfants reçoivent du paddy qu’ils peuvent vendre et s’acheter ainsi ce qu’ils veulent. En effet, comme la disponibilité alimentaire n’est pas un problème majeur des ménages à ce moment-là, les enfants ont complète latitude sur l’utilisation de leurs gains. Cependant, la majorité des parents incitent leurs enfants à acheter des fournitures scolaires et des vêtements.

À Madagascar, surtout en milieu rural, les dépenses d’éducation constituent un lourd fardeau pour les parents. En effet, au vu du faible nombre d’enseignants fonctionnaires recrutés par l’État, ce sont les parents qui s’organisent et cotisent pour rémunérer des enseignants. Dans l’observatoire d’Ambohimahasoa, beaucoup d’adolescents travaillent durant les vacances scolaires pour aider leurs parents à payer les frais de scolarité. Le travail concerne essentiellement le transport de briques, de bois, de charbon, etc.

Une école à Ambohimahasoa.
Tantely Andrianatoandro, Author provided

Quelles solutions envisager ?

Dans l’observatoire d’Ambohimahasoa, la pression foncière a fait prendre conscience aux jeunes parents l’importance de la scolarisation pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Depuis 2014, constatant le nombre grandissant d’enfants déscolarisés, le gouvernement malgache a mis en œuvre un projet de réinsertion scolaire, à travers un cours de remise à niveau (CRAN).

Le CRAN reste cependant une solution pédagogique, et une réflexion commune au gouvernement et aux différents acteurs publics œuvrant dans l’éducation devrait être menée pour s’attaquer aux racines de l’insuffisance de l’accès et du maintien scolaire des enfants. Il s’agit principalement d’alléger les dépenses scolaires supportées par les parents (frais de scolarité, rémunération des enseignants, cantine scolaire, etc.), d’améliorer les infrastructures scolaires et de doter les écoles de matériels pédagogiques.


Tantely Andrianantoandro, Socio-économiste, Unité Mixte Internationale-Résiliences, Université catholique de Madagascar, Institut de recherche pour le développement (IRD), Fondation Croix-Rouge française

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.