Les Rencontres de la Fondation ont fait leur grand retour en 2022, en « présentiel » après deux années de pause dues à la crise du Covid, où les échanges se sont poursuivis par écrans interposés. « Des années qui, du fait des confinements et de la distanciation sociale, ont amené la société à changer de regard sur la question du lien social, » comme l’a noté Françoise Fromageau, vice-présidente de la Fondation, dans sa conclusion.
Durant cette période, chacun a pris conscience du besoin de lien social. Mais qu’est-ce que le lien social ? En introduction de la journée, ce sont Francis Akindes, professeur de sociologie à l’université Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) et vice-président du Conseil scientifique de la Fondation et Marc-Henry Soulet, professeur de sociologie à l’Université de Fribourg qui ont pris la parole pour donner une définition de cette notion vaste et complexe. Une notion qui embrasse tout ce qui lie les individus entre eux et leur permet de vivre ensemble pour faire société.
Naturellement, quand la Fondation interroge la notion de lien social, c’est plutôt pour évoquer ceux qui en sont privés, les « mis à l’écart », les invisibles, les « indésirables », les exclus… La première table ronde, « L’action humanitaire au défi du maintien du lien social », a mis en évidence de nombreuses situations de vulnérabilité dans lesquelles maintenir le lien social est un défi et une nécessité : des expérimentations « d’EHPAD hors les murs » aux clubs de mères de la Croix-Rouge togolaise, en passant par le dispositif « Croix-Rouge chez vous »…
Une certitude : travailler le lien social, ce n’est pas seulement lutter contre l’isolement. Il ne suffit pas d’aller à domicile, « d’aller vers » pour créer du lien. C’est tout le sens des recherches menées que de réfléchir aux conditions qui permettent réellement d’agir sur le lien social. Car le lien social doit surtout être une relation qui permet d’échapper à l’enfermement dans toutes ses dimensions. Qu’il soit le fruit d’une relation avec un voisin ou avec une institution comme la Croix-Rouge, le lien social suppose de la disponibilité, de l’écoute, de la bienveillance… Mais il interroge aussi de nombreuses autres notions comme la reconnaissance, ou l’autonomie. Il est un défi pour la relation d’aide, mais aussi pour la société tout entière. « On parle de l’intégration à la société, mais il ne faut pas oublier l’effort d’intégration de la société, rappelle François-Xavier Schweyer, sociologue et professeur à l’EHESP[1]. Ce qui suppose aussi un travail de plaidoyer, de mise en visibilité nécessaire à une prise de conscience partagée. »
Exclus parmi les exclus, les migrants étaient le sujet de la deuxième table ronde « Le lien social à l’épreuve de l’expérience migratoire ». Comment ne pas briser les liens existants menacés par le déracinement et l’éloignement ? Comment en créer de nouveaux, c’est-à-dire trouver sa place, s’intégrer ? Le lien social est présent, en filigranes, dans toutes les réflexions sur les politiques d’accueil et d’intégration. Mais à quelle condition la relation d’aide a-t-elle un effet positif sur le lien social ? L’action sociale et humanitaire comporte une part d’asymétrie, d’ambiguïté, qui amène parfois à des effets paradoxaux qu’il convient d’analyser. Florence Ihaddadène, maîtresse de conférence à l’Université de Picardie, en fournit un exemple en évoquant les dispositifs qui, s’appuyant sur le travail bénévole dans le but de favoriser l’intégration des jeunes migrants, risquent au contraire de les assigner à certaines missions, d’entériner les stéréotypes et donc leur mise à l’écart.
Il était question de bénévolat et d’engagement dans la troisième table ronde « L’engagement bénévole vecteur de lien social ». Est-ce qu’on s’engage pour soi, pour les autres, pour refaire communauté ? Quelles que soient les formes très variées que cet engagement peut prendre selon les personnes et les zones géographiques, c’est la place de la représentation de soi des bénévoles dans leur engagement qui est au cœur de la question.
Éclairant d’un jour nouveau cette question, Michel Agier, anthropologue et directeur d’études à l’EHESS[2], l’affirme, dans sa conclusion : « dans cette crise du lien, l’engagement est en soi un lien, il crée du lien, il soigne le lien. » Soulignant la diversité des catégories d’exclusion et des problématiques abordées au cours de la journée, il a tenu à rappeler une caractéristique partagée entre toutes formes d’engagement bénévole ou professionnel, « celle du courage, le courage de la relation, le courage de la vie commune dans un contexte où tout favorise le repli sur soi et l’indifférence. »
[1] École des hautes études en santé publique
[2] Ecole des hautes études en sciences sociales
Crédit photo du haut : Frédérique Jouval